Histoire du droit criminel chez les Romains
par
Ferdinand Walter, Professeur à l'Université de Bonn.
Traduite de l'allemand
par
J. Picquet-Damesme,
Chargé du cours de Droit criminel à la Faculté de Droit de Grenoble.
Introduction (par le traducteur)
Délits et Peines. Notions générales
Juridictions pénales. Juridictions des premiers temps de Rome,
Procédure criminelle. A) De la procédure ordinaire, De la procédure en usage :
a)Devant les comices.
b) Devant les commissions.
c) Au temps de l'Empire.
Des règles imposées à l'accusation, De la situation de l'accusé, Du jugement et de l'exécution, Voies de recours.B) Procédures spéciales. De la procédure inquisitoriale, De la proocédure employée contrre les délits de peu d'importance.
Ces réflexions préliminaires sont du traducteur.
Il n'est pas rare qu'un écrivain de bonne volonté entreprenne
de nous faire connaître un ouvrage justement célèbre chez un
peuple voisin, mais dont le titre même est ignoré en France. Le
premier soin du traducteur est alors de présenter en quelque
sorte au public l'auteur et son oeuvre dans un avant-propos destiné
à en indiquer le mérite aux lecteurs, avant de les initier
d'une manière intime et complète aux beautés de l'ouvrage.
Nous n'avons point à remplir ce devoir envers un savant à la réputation
duquel nous craindrions de ne rien pouvoir ajouter.
La première édition de l''Histoire du Droit romain a paru en
1840, et n'a pas peu contribué à placer son auteur, M. Ferdinand
Walfer, professeur à l'Université de Bonn, au premier
rang des jurisconsultes d'un pays qui est justement fier de
leur nombre et de leur mérite. Mais ce n'est pas dans sa
patrie seulement que M. Walter a fait apprécier une érudition
immense unie au plus rare talent d'exposition; ses ouvrages
ont reçu en France l'accueil et le tribut d'hommages que notre hospitalité sait loyalement accorder aux grandes supériorités
scientifiques. Nous avons eu pour interprète, en cette
occasion, un écrivain qui préludait alors aux travaux qui
devaient illustrer son nom; voici ce que M. Edouard Laboulaye
disait, en 1841, du livre dont nous commençons la traduction
: « Restait l'ouvrage de M. Walter, et celui-là, du
moins, remplissait toutes les conditions que nous pouvions
exiger. Ecrit récemment par un professeur qui s'est constamment
tenu au courant de la science, ce livre, purement historique,
sans mélange aucun de droit actuel, nous semble
l'oeuvre, sinon la plus originale, du moins la plus complète
qu'on ait publiée sur l'histoire du Droit romain. »
M. Laboulaye fit mieux que de louer l'oeuvre, il entreprit de
la faire connaître, et publia en 1841 la traduction du quatrième
livre,en faisant espérer dans un avenir prochain le reste de
l'ouvrage. Mais vingt ans se sont écoulés, et depuis cette promesse,
M. Laboulaye, entraîné par d'autres études, a lui-même
écrit des ouvrages qui sont traduits, ou qui mériteraient de
l'être. Nous venons bien tard répondre au désir de ceux qui
espéraient voir continuer l'oeuvre commencée, et nous ne
nous dissimulons pas un précédent qui rend notre entreprise
doublement périlleuse; mais nous avons du moins l'avantage
de posséderune troisième édition du livre de M. Walter; or, il
ne faut pas une longue comparaison pour s'assurer que chacune
de celles qui ont paru depuis la première, est un progrès sur
la précédente: ce n'est point, il faut le dire, un simple travail de
révision, mais une véritable refonte qui a été faite de l'ouvrage
primitif; aussi l'auteur mérite-t-il, plus que jamais, par les améliorations qu'il a apportées à une oeuvre déjà remarquable,
les éloges qui ont accompagné sa première apparition. Elle a
été reçue parmi nous avec une faveur d'autant plus grande
par les savants initiés à la connaissance de la langue allemande,
qu'elle répondait, il doit être permis de le dire, à une
véritable nécessité. En effet, et tout en rendant une pleine
justice aux travaux remarquables de MM. Berriat-Saint-Prix,
Giraud, Laferrière, Ortolan, etc., nous ne pouvons nous
flatter d'avoir en France une histoire complète du Droit
romain que nous puissions opposer avec quelque avantage
aux nombreux écrits publiés sur ce sujet par les jurisconsultes
allemands. Sans doute, il serait glorieux pour un écrivain
de notre nation de refaire, sans aucun secours étranger, et
par la seule force du génie français, ce qui a été si heureusement
accompli par nos voisins; mais, outre qu'on s'exposerait
à suivre inutilement une voie déjà battue, ne vaut-il pas mieux
reprendre les choses au point où les a placées la science allemande, en vulgariser parmi nous les admirables découvertes,
et fournir ainsi des matériaux à ceux dont le talent
peut ambitionner un rôle moins modeste que celui du traducteur
? C'est précisément la tâche que nous nous sommes imposée.
M. Laboulaye avait commencé son travail, malheureusement
inachevé, par l'histoire de la Procédure civile; nous commençons le nôtre par celle du Droit criminel qui fait
l'objet spécial de nos études et vers lequel on ne peut nier
que soit dirigé en ce moment même l'intérêt de tous les
hommes de science, en même temps que les préoccupations de
l'opinion publique vivement manifestées par ses divers organes.
Le Droit criminel romain est peu connu et peu étudié en
France; l'espèce de défaveur dont il est l'objet forme le
thème obligé de tous ceux qui, à de trop rares intervalles,
ont cherché à ranimer notre ardeur en la tournant vers cette
intéressante étude. D'où vient ce dédain pour une partie de
la législation qui se rattache plus intimement encore que les
autres, aux magnifiques institutions qui ont fait la gloire et la
force des Romains, et que nous devons avant tout admirer
dans leur histoire? On n'ose plus faire l'éloge du droit civil
de Rome, de peur de répéter tout le monde en exaltant cette
raison écrite qui a inspiré toutes les législations modernes et
fourni des modèles que l'on ne se lasse ni d'admirer ni de
copier. Pourquoi donc laisser sans culture un champ qui a
été aussi fécond pour le Droit criminel que pour la loi civile?
Peut-être se .méfie-t-on de l'intérêt que peut présenter une
organisation judiciaire que l'on supposerait s'être prêtée aux
cruautés d'un Tibère ou aux fureurs d'un Caligula. L'époque
de servitude et d'avilissement condamnée à subir ces princes
détestables ne nous présente en effet qu'une législation pénale déshonorée par le despotisme, et bien différente
de celle qui avait vu les beaux temps de Rome; mais on
y trouve encore, avec d'utiles leçons, les vestiges des institutions
jadis protectrices de la liberté des citoyens, alors
détournées de leur sens primitif, et l'on peut mesurer l'importance
de ces formes autrefois si respectées, par les efforts que
faisaient certains empereurs pour les dénaturer ou les détruire.
Cette étude offre donc, même à ce point de vue, des
enseignements qu'il n'est pas permis de négliger. L'une des
causes du peu de faveur qu'elle obtient nous est indiquée dans
une brochure récemment publiée sur ce sujet; l'auteur
fait remarquer avec raison que l'enseignement de cette partie
de la législation criminelle tient fort peu de place dans nos
Facultés de droit; les Institutes de Justinien qui servent de
base à l'enseignement du Droit romain ne consacrent qu'un
titre très incomplet à une simple esquisse de la procédure et
de la pénalité romaine. Les élèves de nos Facultés sont
donc autorisés à croire qu'il n'y a rien à apprendre sur un
sujet duquel on leur enseigne si peu de chose, et quand
ils ont quitté les bancs de l'école, ils n'ont garde de revenir à
une étude dont la base première a manqué et dont les
détournent des travaux qui leur semblent avoir une utilité plus
pratique. D'ailleurs, les livres manquent également sur ce sujet intéressant, et les auteurs qui écrivaient au XVI° siècle
sont encore aujourd'hui d'une indispensable ressource pour
l'étude de cette matière; nous devons citer, en première
ligne, l'ouvrage de Sigonius, maintes fois abrégé ou commenté,
et celui de cet excellent Pierre Ayrault qui renferme,
il est vrai, une érudition moins sûre, mais dont la
lecture est si attachante à cause du profond et sincère amour
de l'auteur pour le juste et le vrai, et du courage avec lequel
il défendait tout seul les droits de l'humanité à une époque où
ils étaient si odieusement méconnus. Mentionnons encore avec
M. Laboulaye, Paul Manuce et Hotoman qui écrivaient
au même temps, ainsi que Ferratius, résumé par Beaufort,
lequel avait déjà propagé de la même manière le livre de
Sigonius.
Cependant la studieuse Allemagne vint à s'emparer de ce
sujet sur lequel se sont immédiatement concentrées l'ardeur
passionnée et l'investigation patiente d'une légion de savants;
aussi vit-on paraître presqu'en même temps toute une sérié
d'admirables travaux malheureusement inconnus en France;
les plus remarquables sont ceux de Geib et de Rein, après lesquels il faut encore citer avec honneur, non seulement
Walter et Rudorff, qui ont consacré au Droit criminel la
part qu'il doit avoir dans une histoire complète du Droit
romain, mais encore un grand nombre de noms également
ignorés dans notre pays f); leur liste serait, par son étendue
seule, une humiliation pour nous, si nous n'avions à mettre
en relief, pour compenser quelque peu notre trop évidente
infériorité, d'abord les ouvrages de MM. Faustin Hélie,
Ortolan, Du Boys et une étude de M. Rivière, mais surtout, et
fort heureusement pour notre amour-propre national, un
chef-d'oeuvre que nous pouvons présenter avec confiance
à nos heureux rivaux; je veux parler du livre de M. Laboulaye. Ecrit dans un style éminemment remarquable, cet
ouvrage renferme non seulement, comme l'indique son titre,
une étude sur les lois criminelles des Romains, mais un
travail des plus complets sur leur constitution politique, le
mécanisme de leurs institutions et les vicissitudes de leur
histoire; l'auteur, en exposant avec fidélité les faits juridiques,
n'a eu garde de négliger le côté historique et politique
de son sujet, et il a su mettre en pleine lumière des principes
et des enseignements qui ne se dégagent que péniblement de
l'ensemble de faits relatés avec tant de conscience et d'exactitude
par les écrivains allemands. On ignore trop ce qu'était la législation pénale pendant les
beaux siècles de la République, et cependant il suffirait de se
rappeler la grandeur de Rome à cette brillante époque de son
histoire pour en conclure par la plus sûre induction que le
Droit criminel (toujours en rapport avec le développement des
libertés civiles d'un peuple) y avait atteint le plus remarquable
degré de perfection. C'est donc peu dire que d'affirmer
la supériorité de cette organisation judiciaire sur celle des
autres nations de l'antiquité; pour lui trouver une rivale
digne d'elle., il faut (en dépit de la théorie séduisante du progrès
continu) franchir les siècles, et prendre pour terme de
comparaison, non pas la législation pénale de nos pères, non
pas celle des contrées de l'Europe moins avancées dans la civilisation,
mais celle-là même qui régit aujourd'hui la France, et
surtout l'Angleterre, avec les lois de laquelle le Droit criminel romain offre la plus frappante analogie.
Nous ne pouvons mieux prouver la vérité de cette assertion
qu'en présentant ici même un tableau rapide de la procédure
au temps où Rome, maîtresse d'elle-même comme de l'univers
possédait encore ces institutions libres, perdues en même
temps qu'une organisation judiciaire qui en était la plus sûre
garantie.
Dans les premiers siècles de Rome, la juridiction criminelle
appartenait aux rois et aux consuls qui leur succédèrent,
mais le peuple ne tarda pas à ressaisir un droit qu'il conserva
jusqu'à la fin de la République. Il l'exerçait dans les grandes
assemblées des comices centuries ou des comices tribus, quelquefois
directement, plus souvent encore en nommant des
commissaires (quaestores) qui rendaient la justice en son nom, quand la nature d'une affaire rendait cette délégation nécessaire
ou utile. Cet usage, une fois introduit, ne pouvait tarder
à devenir général, et il l'était déjà quand le tribun Calpurnius
Piso, que ses concitoyens avaient surnommé l'honnête homme
(Frugi), fit rendre une loi qui institua la première quaestio perpetua. On appelait ainsi des commissions qui étaient permanentes
en ce sens qu'il n'était point nécessaire de faire une
nouvelle délégation pour chaque procès, mais dont le personnel
se renouvelait toutes les années. Dès ce moment, une révolution
était faite dans les lois criminelles. Chaque commission
était instituée par une loi qui définissait le délit qu'elle
devait punir, et déterminait la peine à appliquer. La procédure
était à peu près la même pour toutes les quaestiones; la loi
Julia publicorum judiciorum indiqua plus tard un ensemble de
règles généralement suivies dans chacune d'elles.
Les Romains attachaient la plus grande importance à tout
ce qui avait rapport à leur organisation judiciaire; le droit
d'y prendre part en qualité de juges appartint successivement
à divers ordres de l'état qui se le disputèrent avec un extrême
acharnement, et dont les querelles ensanglantèrent souvent
la République. Les deux Gracchus, ennemis du Sénat, réussirent
à lui enlever le droit de juger pour le donner aux chevaliers
; Sylla le ravit à ces derniers pour le rendre aux sénateurs,
et les deux partis ne cessèrent de lutter que lorsque
l'empereur Auguste les eut mis d'accord en organisant sur
une base nouvelle les commissions permanentes, et en s'attribuant
à lui-même le droit d'appel, pour abandonner au Sénat
une juridiction illusoire et dédaignée que ses successeurs ne
lui laissèrent même pas. Jadis, chaque commission était présidée par un préteur ou
des judices quaestionum qui remplissaient à peu près les
fonctions de nos présidents d'assises quant à la police de
l'audience, mais dont le pouvoir paraît avoir été plus étendu
sous d'autres rapports. Les judices jurati formaient le
second élément dont se composait une commission; c'étaient
des citoyens chargés temporairement d'un service
judiciaire ou criminel. Pour remplir ces fonctions, beaucoup
plus importantes encore à Rome que chez nous, puisque les
jurés étaient appelés à statuer sur la responsabilité des magistrats
à l'expiration des charges publiques, il fallait avoir trente
ans, moins de soixante, et faire partie de l'un des ordres dans
lesquels se choisissaient les jurés, c'est-à-dire, tantôt le
Sénat tantôt les chevaliers, ou appartenir au collége des tribuns de l'aerarium qui, à une certaine époque, participèrent
aussi à cette prérogative. Les fonctions de jurés
étaient incompatibles avec certaines charges publiques, et ne
pouvaient être exercées par ceux dont un jugement avait
flétri la considération.
Les noms des citoyens appelés à l'honneur de faire partie du
jury formaient une liste dont l'étendue varia plusieurs fois: la
loi Servilia établit un album de quatre cent cinquante jurés;
dans d'autres cas, il y en eut jusqu'à cinq cent vingt-cinq et six
cents. Quand Sylla eut arraché le pouvoir aux chevaliers pour
le donner au Sénat, les listes se composèrent généralement
de trente-deux noms, mais, dans plusieurs procès célèbres,
le nombre des jurés ne fut pas moindre de cinquante-un,
cinquante-six ou même soixante-quinze citoyens à l'époque
où le droit de juger était partagé entre les chevaliers et les
tribuns de l'aerarium qui, à une certaine époque, participèrent
aussi à cette prérogative. Les fonctions de jurés
étaient incompatibles avec certaines charges publiques, et ne
pouvaient être exercées par ceux dont un jugement avait
flétri la considération.
Les noms des citoyens appelés à l'honneur de faire partie du
jury formaient une liste dont l'étendue varia plusieurs fois: la
loi Servilia établit un album de quatre cent cinquante jurés;
dans d'autres cas, il y en eut jusqu'à cinq cent vingt-cinq et six
cents. Quand Sylla eut arraché le pouvoir aux chevaliers pour
le donner au Sénat, les listes se composèrent généralement
de trente-deux noms, mais, dans plusieurs procès célèbres,
le nombre des jurés ne fut pas moindre de cinquante-un,
cinquante-six ou même soixante-quinze citoyens à l'époque
où le droit de juger était partagé entre les chevaliers et les
tribuns de l'aerarium.
Les listes étaient dressées par le préteur présidant les
commissions; mais Sylla ayant fait porter une loi qui prescrivait
une liste unique pour toutes les quaestiones, le choix du jury
appartint au préteur urbain, c'est-à-dire à un magistrat
nommé à l'élection, sujet à l'expiration de ses fonctions à
une responsabilité redoutable, et dont l'action était limitée
comme celle des autres magistrats, non point par la division,
mais parle concours des pouvoirs publics. Les noms choisis par le préteur étaient inscrits sur un album publiquement exposé, et la même publicité contrôlait
et protégeait tous les actes de la procédure; c'est qu'à Rome
le peuple qui souvent jugeait lui-même, croyait qu'il était de
son intérêt de savoir comment se rendait la justice en son
nom; In plerisque judiciis, dit Cicéron, credebat populus romanus
sed interesse quid judicaretur.
Les Romains ne connaissaient point le ministère public;
cette belle institution manquait à leur organisation judiciaire;
aussi l'action publique, qui chez la plupart des peuples modernes
est dirigée d'office par un magistrat dans l'intérêt de
tous, était laissée aux mains de la partie lésée ou de chaque
citoyen qui voulait se porter accusateur. Ce rôle, considéré
pendant longtemps à Rome comme un des plus beaux priviléges
du citoyen, ambitionné et illustré par. des hommes tels
que Caton, Hortensius et Cicéron, ne fut abandonné que sous
l'Empire, alors que l'infamie des délateurs eut fait un trafic
de fonctions jadis exercées dans les vues les plus nobles et au
grand avantage de tous.
Le citoyen, qui aux beaux temps de la République croyait
devoir déférer un coupable au jugement de son pays et se
porter publiquement accusateur, était d'abord tenu de s'adresser
au préteur chef de la commission instituée pour punir
le genre de crime poursuivi. Il demandait à ce magistrat la
permission de citer celui qu'il voulait poursuivre, et attestait
par serment la bonne foi de son accusation; ce premier acte
de procédure s'appelait la postulatio. Le préteur, après avoir
examiné la demande qui lui était soumise, l'admettait ou la
rejetait, suivant qu'elle lui avait paru recevable ou non en
droit; dans le premier cas, il exigeait de l'accusateur le serment
de soutenir l'instance jusqu'au jugement. Quand il se
présentait plusieurs accusateurs pour un même procès, le préteur était appelé à donner la préférence à l'un d'eux, et le
débat qui pouvait s'élever à ce sujet portait le nom de divinatio.
Ceux qui avaient dû céder le pas au citoyen choisi par
le chef de la commission ne perdaient pas le droit de jouer
un rôle actif au procès; sous le nom de subscriptores, ils se
joignaient à la partie principale dont ils soutenaient les efforts
de toute l'ardeur qu'excitait leur cause, exerçant une intervention
directe dans tous les actes de l'instance, interrogeant
les accusés ou les témoins, réparant les oublis échappés à
l'accusateur principal, et prenant en un mot dans une affaire
la part que peuvent y prendre de nos jours les intéressés
que nous désignons sous le nom de parties civiles.
Venait ensuite la nominis delatio, c'est-à-dire la désignation
du crime et l'indication de la personne accusée. Cette formalité
dont le but était de préciser clairement les faits caractéristiques
du procès, était remplie devant le président de la commission par l'accusateur et les subscriptores qui, pour
éviter toute équivoque, étaient tenus de dresser et signer une
sorte d'acte d'accusation qui résumait tous leurs griefs; le
préteur rédigeait alors un procès-verbal constatant l'exacte
observation de ces formes auxquelles on attachait une juste
importance, car la cause ne pouvait s'engager que sur les
questions soigneusement posées dans l'interrogatio.
Lorsque l'accusé, convoqué directement, ou averti par la
publicité de ces démarches venait à se présenter au préteur, on lui faisait connaître immédiatement l'accusation qu'on préparait
contre lui, et on lui en exposait les détails avec autant
de loyauté qu'on mit plus tard de perfidie à la cacher aux
malheureux inculpés. L'incroyable usage de laisser ignorer
au prévenu jusqu'au fait pour lequel on l'arrêtait, de manière
à lui ôter même la possibilité de réfléchir à sa défense est
une des plus déplorables conséquences du système inquisitorial, et ne fut jamais entré dans l'esprit des Romains.
« C'est véritablement couper la gorge à l'accusé, dit Ayrault
dans un de ces accès d'honnête indignation qui rendent si
attachants son livre et sa personne,que de lui tenir secret ce
dont on le veut accuser jusqu'à l'instant qu'on lui amène témoins.;
la façon ancienne (de commencer par communiquer
à l'accusé le libelle de l'accusation) était plus douce et plus
équitable). »
Quand l'inculpé avait connaissance de l'acte dressé contre
lui, le préteur présidant la commission portait son nom sur
la liste des accusés, ainsi que le fait pour lequel il était poursuivi
(nomen recipere). Il fixait ensuite le jour de la comparution
devant le tribunal, non sans donner au présumé coupable
le temps nécessaire pour préparer sa défense; ce délai, qui
variait généralement de dix à trente jours, pouvait être encore
étendu quand la cause comportait (comme par exemple dans
un procès de concussion, crimen repetundarum) la réunion de
documents multipliés et d'une recherche difficile. La même
publicité accompagnait et contrôlait les actes de la procédure
suivie autrefois, soit devant le peuple, soit devant le Sénat ou
les commissions. Après la dénonciation publique de l'accusation, l'inculpé était sommé de comparaître devant le tribunal (diei dictio); mais quand le procès était porté devant les
comices, le magistrat devait faire connaître par trois fois au
peuple assemblé un jour de marché (per trinundinium), la
formule exacte de l'accusation (anquisitio); on ne commençait
les débats que le troisièmejour, quand les citoyens avaient eu
le temps de réfléchir mûrement à la question qu'on leur avait
posée.
Immédiatement après la diei dictio ou la fixation du jour
des débats, l'accusateur, qui était absolument maître de l'action,
réunissait tous les éléments du procès; au moyen d'une
autorisation émanée du préteur (lex), il pouvait procéder,
sans trouver de résistance, à tous les actes de l'instruction;
c'est ainsi qu'il citait et interrogeait les témoins, qu'il faisait
apposer les scellés et pénétrait librement dans le domicile
des citoyens pour y opérer les perquisitions qui lui semblaient
nécessaires. Il se faisait remettre les pièces (instrumenta) qui
pouvaient l'aider à prouver l'accusation, ainsi que les registres
domestiques (codices accepli et expensi) qui jouent un si grand
rôle dans les procès de péculat et de concussion; ces documents
étaient réunis dans un dossier sur lequel l'accusateur apposait
son cachet; ils étaient ensuite déposés au greffe par les
soins du quaesitor, et lus en plein tribunal sur l'invitation de
l'orateur (recita litteras, etc.). Mais les Romains respectaient
trop les droits de la défense pour donner à l'accusateur un
pouvoir qui n'eût point trouvé de contrepoids dans une égale
liberté accordée à l'accusé. Ce dernier pouvait donc suivre
par lui-même, ou par un mandataire, toutes les démarches
de son adversaire, contrôler ses actes et préparer sa défense
en usant des mêmes prérogatives que l'accusateur. Cette lutte
n'eût pas été à armes égales si l'inculpé n'eût gardé la liberté
de ses actes et de sa personne, et tel était le respect des droits du citoyen, que dès les premiers temps de Rome, l'accusé, même d'un crime capital, échappait à la prison en
donnant caution de comparaître au jour du jugement. Ce privilége
qui avait été introduit, à titre d'exception, par les tribuns,
dans un procès fait à Caeso Quinctius, ne tarda pas à
devenir d'un usage général et se maintint jusqu'à la fin de la
République. Non seulement il existait encore au temps des
quaestiones perpetuae, mais la nécessité de donner caution avait
même disparu, aussi rien ne garantissait la comparution de
l'accusé, si ce n'est l'amour ardent d'une patrie qu'il eût fallu
fuir sans retour pour échapper au jugement. « Un citoyen
romain, dit M. Laboulaye, quelle que fut la bassesse de sa
condition, était un des maîtres du monde, et des fers ne devaient
point blesser ces mains souveraines). »
La détention préalable était donc à peu près inconnue; cependant
quand la nature d'une affaire exigeait des précautions
excessives, on employait contre l'accusé comme ressource
extrême, non point les chaînes ou les cachots, mais les arrêts
(custodia libera); dans le cas où l'on se décidait à user
d'une pareille mesure, celui que l'on n'osait encore traiter
en coupable, puisqu'il n'était point condamné, était confié à
la surveillance d'un sénateur ou d'un magistrat d'un ordre
élevé dans la maison duquel il demeurait jusqu'au jour de
sa comparution devant les juges. Il est superflu d'ajouter que
la gêne de l'isolement ou du secret n'avait aucune place dans
la législation, et eût été impossible dans la pratique: libre de
communiquer avec ses amis et ses défenseurs, l'accusé n'était
l'objet d'aucune de ces rigueurs inutiles et barbares, si propres
à paralyser la défense du coupable et à jeter le désespoir dans
l'âme de l'innocent.
C'est ainsi qu'à Rome on avait cherché à résoudre ce difficile problème de la détention préventive, qui aujourd'hui
encore s'impose aux méditations des législateurs. En mettant
en lumière cette,partie remarquable d'une procédure pénale
à laquelle on a pu reprocher sa trop grande douceur pour les
accusés, nous n'avons pas sans doute la pensée de la proposer
comme un modèle absolu dans un temps et des conditions
sociales bien différents; mais s'il est vrai qu'à Rome on ait
exagéré, au détriment de la sécurité publique, les garanties
dues aux inculpés, il est hors de doute aussi que d'autres législations
les ont parfois mises en oubli, et si en pareille matière,
comme en tant d'autres, le vrai se trouve entre les deux
extrêmes, n'importe-t-il pas de connaître les divers excès
dans lesquels on s'est jeté en sacrifiant tour à tour les droits
de l'humanité ou ceux de l'état social?
L'application de la peine de mort devait trouver peu de
place dans les usages d'un peuple qui admettait à peine la
détention préventive, aussi disparut-elle presque totalement.
L'accusé qui ne voulait point s'exposer aux chances d'une
condamnation s'expatriait volontairement; il pouvait quitter
la ville, non pas seulement au moment de sa mise en accusation,
mais, chose à peine croyable, pendant le procès aux
débats duquel il avait assisté jusqu'à la fin, et alors même
que le vote déjà commencé avait amené le nombre de voix
nécessaire à la condamnation. Une loi sanctionnait alors
l'exil, en interdisant le feu et l'eau à celui qui, s'il était coupable
s'était puni lui-même, et s'il était innocent, avait eu
le tort de douter de la justice d'un pays qui laissait à sa défense
toutes les libertés.
Quand l'accusé ne voulait point profiter de la faculté qui
lui était laissée, il comparaissait devant le tribunal au jour indiqué. Jadis, devant les comices centuries, la citation se
faisait solennellement au son de la trompe qui résonnait le
long des murs et devant la porte du prévenu; c'étaient les
viatores des tribuns qui le convoquaient devant les comices tribus;
enfin la citation n'était pas moins publique au temps des
commissions permanentes; elle était faite par le héraut du
préteur (praeco).
La formation du tribunal était nécessairement le premier
acte duquel on s'occupait après la convocation des parties qui
procédaient elles-mêmes à cette formalité de deux manières:
par editio ou par sortitio, mais avec un surcroît de précautions
en rapport avec l'importance d'un acte d'où dépendaient tous
les autres. Quand le tirage du jury avait lieu par sortitio, il était
fait par le président de la commission, qui, après avoir mis
dans l'urne des boules contenant le nom de chaque juré, en
tirait autant qu'il en fallait pour chaque affaire. Les parties
n'étaient point tenues d'accepter purement et simplement le
jury que leur donnait le sort, mais chacune d'elles pouvait,
comme chez nous, exercer ses récusations sans indiquer de
motifs; elles devaient avoir lieu publiquement; les jurés
récusés étaient remplacés par un nouveau tirage au sort qui
prenait le nom de subsortitio.
Lorsque le juryétait constitué par l'editio, ce n'était pas le
magistrat, mais bien les parties qui en nommaient les membres.
Selon la procédure imposée par la loi Servilia repedundarum,
l'accusateur commençait par désigner cent jurés;
l'accusé en nommait un nombre égal, et chacune des parties
récusait cinquante noms sur la liste proposée par l'adversaire;
la loi Licinia établissait des règles différentes, mais
elles tombèrent en désuétude, ainsi que le tirage par editio qui avait l'inconvénient de favoriser l'accusateur en lui donnant
la parole le premier pour l'exercice des récusations. Les jurés nommés prêtaient serment (judices jurati), et
le tribunal étant constitué, l'instance commençait immédiatement
avec cette solennité grandiose habituelle aux actes
accomplis par les Romains, et dont tant de chefs-d'oeuvre
nous ont laissé le magnifique témoignage.
Le préteur, assis sur sa chaise curule, domine l'assemblée
du haut d'une estrade sur laquelle se tiennent avec lui ses
licteurs ainsi que les greffiers et les huissiers du tribunal; à
ses pieds sont rangés les juges dont le nombre s'est élevé
jusqu'à soixante et quinze, oomme dans le procès intenté à
Pison. Vis-à-vis d'eux se trouvent des bancs sur lesquels
prennent place, d'une part les accusateurs, de l'autre l'accusé
entouré de ses amis et de ses défenseurs; un peuple
immense, toujours avide des émotions que devait produire la
parole d'un Cicéron ou d'un Hortensius, se presse dans le
forum autour de l'enceinte respectée des débats judiciaires.
Sur un signe du président, l'huissier annonce que la cause
va être entendue, et le préteur donne la parole aux orateurs.
L'accusateur se lève le premier pour exposer sa plainte,
non pas avec cette réserve que la gravité de son ministère
impose chez nous à l'organe impartial de la société, mais
avec toute la passion permise à celui qui plaidait sa propre
cause en même temps que celle du peuple qui l'écoutait.
L'accusé répond à l'instant, soit par lui-même, comme dans les premiers temps, soit par son défenseur dont le plaidoyer,
grâce à la différence des situations, pouvait développer
des ressources interdites à l'éloquence de nos avocats modernes;
en effet, placé en face de juges dont la décision est
souveraine, et non point devant des magistrats que la conscience
doit protéger contre leurs émotions, l'orateur de
Rome cherche à les attendrir quand il ne peut les convaincre;
il essaie de toucher leur coeur quand il ne peut s'adresser à
la stricte raison; ses larmes demandent grâce au peuple qui
a le droit de l'accorder, et qui ne la refuse point aux blessures
d'un vieux guerrier, au souvenir des services rendus à la
patrie, ou aux larmes d'une famille en deuil.
Cependant la clepsydre qui, dans l'antiquité, mesurait le
temps abandonné aux orateurs, a laissé échapper sa dernière
goutte d'eau, et le héraut vient d'annoncer à haute voix la
fin des plaidoiries. L'office des patroni n'était point encore terminé; la procédure ancienne n'admettait pas, il est vrai,
l'usage des répliques, mais il restait encore une ressource
aux orateurs pour faire triompher leur cause et laisser les
juges sous une dernière et favorable impression. Un dialogue
rapide s'engage entre les parties (altercatio) par l'organe de
leurs défenseurs qui, dans cette dernière lutte, s'efforcent
de porter à leurs adversaires des coups imprévus, les obligent
de répondre immédiatement à des interrogations brèves
et précises portant sur les points les plus délicats du procès,
et ramènent forcément la partie adverse sur un terrain dont
elle s'était peut-être écartée à dessein.
Ce n'est qu'après l'exposé de l'accusation et de la défense
que les Romains passaient à l'audition des témoins et à
l'examen des preuves destinées à établir ou à combattre
l'accusation; cet usage difficile à justifier, dura jusqu'à
Cicéron qui, dans le procès de Verrès, obtint de produire
les témoins dans le cours même de son plaidoyer; un précédent
aussi important fut suivi dans la pratique, et Quintilien
nous atteste que, de son temps, on en était arrivé à adopter
sous ce rapport un ordre plus logique qui est aussi celui que
nous suivons.
Nous avons déjà fait pressentir quelle devait être, sous le
rapport des preuves, la latitude immense ou plutôt absolue,
laissée à chacune des parties. Une théorie légale des preuves
était impossible devant le tribunal souverain des assemblées
populaires, comme devant le Sénat ou le prince; il en était
de même au temps des commissions où le peuple était représenté
par des jurés dont aucune restriction légale ne venait
emprisonner la conviction. Toute preuve était donc admise,
et aucune d'elles ne se présentait avec un caractère qui dût
s'imposer forcément aux judices jurati.
Le citoyen romain parlait librement devant ses juges: son inviolabilité le protégeait contre tout mauvais traitement, et
il ne vint point à l'esprit des Anciens d'imposer à l'accusé un
serment qui eût été une torture morale, ni de soumettre un
témoin aux tortures physiques de la question; mais, il faut
bien le dire, c'était l'orgueil romain, et non des principes de
raison ou d'humanité, qui protégeait ici la personne du
quelque importance au procès, ces lois si libérales lui infligeaient
impitoyablement un supplice que l'inégalité de son
application devait rendre plus odieux et plus cruel encore (1).
(1) Il est vrai que lorsqu'un esclave avait souffert les horreurs de la torture dans un débat à la suite duquel son innocence était reconnue, on indemnisait le maître!!
Cette différence entre les citoyens et les esclaves se maintint
jusqu'à l'Empire qui fit de la torture un moyen ordinaire
d'instruction, pour l'appliquer indistinctement aux esclaves
comme aux maîtres, suivant les redoutables caprices d'un
juge qui pouvait s'appeler Claude ou Néron.
Quelques lois limitèrent à Rome le nombre des témoins que
pouvait produire l'accusateur ou la défense, mais elles ne le
restreignirent pas dans une proportion qui pût compromettre
l'une ou l'autre des parties; la loi Julia permet d'en entendre
jusqu'à cent vingt; ceux qui avaient été cités par l'accusateur
étaient forcés de comparaître, s'ils ne voulaient s'exposer à
une peine qui était sans doute l'amende ou la saisie des biens;
l'accusé n'avait pas le même privilège, du moins au temps de
la République, et les témoins qu'il produisait se présentaient
volontairement sans qu'il pût les contraindre à venir à l'audience.
Chez nous, grâce à l'institution d'un ministère public
et au pouvoir qui lui appartient de citer les témoins, la balance est égale entre l'accusation et la défense. Peut-être, n'en
faut-il pas dire autant de la loi qui remet au président de nos
assises le droit d'interroger l'accusé et les témoins, ou du
moins de diriger l'interrogatoire à son gré. Des auteurs dont
l'opinion fait autorité en cette matière, pensent que, sous
ce rapport, les usages romains étaient supérieurs aux nôtres, et mieux calculés dans l'intérêt de cette égale liberté
qui doit appartenir aux deux parties. On ne peut nier que chez
nous le sort d'un accusé ne dépende, dans une certaine mesure,
du présidentdes assises dont l'influence peut se manifester de
plusieurs manières dans le cours d'un procès criminel; c'est à
sa conscience, il est vrai, mais aussi à ses lumières et à son savoir
que le législateur a abandonné la tâche de diriger les débats,
d'y maintenir l'ordre, d'interroger l'accusé, de résumer les
arguments présentés de part et d'autre, et de maintenir en
un mot l'égalité d'une lutte dans laquelle il lui est facile de
favoriser une des parties au grand détriment de l'autre. Ce
danger peut naître surtout de l'obligation faite au président
d'interroger l'inculpé et les témoins seul et directement,
tandis que l'accusé et son défenseur ne peuvent, conformément
à l'art. 319 du Code d'Instr. crim., adresser leurs
questions aux témoins que par l'organe du président. Or comme
le dit le lieutenant criminel Pierre Ayrault, «interroger, c'est plus advocacer que juger, voire plutôt acte de partie
que d'advocat. Car, l'interrogatoire, pour être bon, se doit
faire captieusement et subtilement, y venir tantôt de droit
fil, tantôt en biaisant, maintenant en cholère, maintenant
doucement, qui sont toutes actions d'adversaire ou de sophiste,
non de juge ou de magistrat. » Il est difficile que
les questions faites par l'accusé au témoin conservent leur
spontanéité, et par conséquent leur valeur, quand elles ont
passé par la bouche du président qui a pu, soit les faire
répéter à l'accusé pour les mieux préciser, soit en changer
involontairement le sens et la portée en les reproduisant, et,
dans tous les cas, leur ôter ce qu'elles ont d'inopiné en
donnant au témoin le temps de préparer une réponse qui eût
été sans doute différente, s'il n'eût pas puy réfléchir: « un témoin
vrai, dit M. Dupin, s'embarrasse rarement; mais un
fourbe a besoin d'être pressé; c'est alors seulement qu'il se
trouble, se contredit, et laisse sa turpitude à découvert. » Il
faut ajouter que cette gêne n'est point imposée au procureur
général qui peut interroger directement l'accusé ou les témoins,
après en avoir demandé la permission au président. Dire que
dans la pratique, un usage général introduit par la bienveillance
et la droiture de nos présidents d'assises vient corriger
ce que la disposition de la loi a de trop rigoureux, c'est faire
ressortir encore l'inégalité des situations et le danger d'une puissance dont un homme passionné ou emporté par le zèle pourrait faire quelque jour un dangereux abus.
A Rome, ce pouvoir périlleux n'était point donné au chef
de la commission. Spectateur impassible des débats engagés
entre les témoins et les parties, le préteur ne prenait la
parole que pour y maintenir l'ordre, mais il en laissait la
direction à l'accusateur et aux patrons. C'étaient eux qui
interrogeaient successivement et directement l'accusé et les
témoins, et qui, par des questions insidieuses, cherchaient à
les surprendre, à les faire tomber en contradiction, en un
mot, à leur tendre des piéges pour arriver par ce moyen à
découvrir leur pensée intime. Ce rôle qui pouvait convenir à
l'accusateur romain,,n'est peut-être pas facilement conciliable
avec la dignité de nos présidents qui doivent être comme les
« parrains des deux parties, » medium inter reum et actorem. Cette attitude leur serait peut-être plus facile si, comme en
Angleterre, la loi ne les obligeait qu'à assister à la lutte, sans
les forcer d'intervenir dans un débat qui peut mettre leur
impartialité à une épreuve parfois bien difficile.
Quand les témoins avaient fini leurs dépositions, le tribunal
entendait les laudatores dont le nom indique assez la mission
au procès; chacun d'eux venait exalter ce que nous appellerions
aujourd'hui les antécédents et la moralité de l'accusé
d'ordinaire leur client, leur ami, quelquefois l'administrateur de leur province pendant de longues années. Ces témoins
complaisants étaient déjà trop faciles à trouver dans toutes
sortes de causes, pour qu'un accusé pût se présenter à la
justice sans être accompagné d'au moins dix laudatores;
mais leurs efforts s'unissaient, en toute liberté, à ceux des
avocats et des patrons, pour la défense de leurs clients.
Cet usage, un instant aboli par Pompée, se maintint cependant
jusqu'à l'Empire, époque à laquelle il changea de
caractère, comme tout ce qui tenait à l'administration de la
justice.
Mais le moment décisif du vote est arrivé; le héraut du
préteur a répondu par le mot Dixerunt au Dixi du dernier
orateur. Chacun des juges reçoit une tablette enduite de cire
sur laquelle il trace un des trois caractères qui doivent manifester
son opinion, en absolvant l'accusé (A), en prononçant
sa condamnation (C), ou le renvoi à un plus ample informé
(NL, non liquet). La déclaration de culpabilité ne pouvait
résulter que de la majorité absolue des votes; un partage
égal amenait l'absolution. On procédait, sans doute, à de
nouveaux débats quand les voix se partageaient entre l'acquittement,
la condamnation et le non liquetl).
Enfin, les juges se lèvent; chacun d'eux s'avance le bras nu,
couvrant avec la main les caractères inscrits par lui sur la
tablette fatale qu'il dépose dans l'urne destinée à recevoir
les votes. Un juge désigné par le sort, les en retire l'une après
l'autre; il montre au public le caractère inscrit sur chacune
d'elles, et fait connaître aussi celles qui n'en portent aucun
(sine suffragio), puis il les passe au citoyen qui siège à côté de
lui, pour contrôler la déclaration qu'il vient de faire. Le préteur annonce alors le résultat du vote, en prononçant
l'absolution (non fecisse videtur), ou la condamnation (fecisse
videtur). Quand les juges, profitant d'un privilège qui n'existait
pas au temps des comices, avaient déclaré ne pouvoir se
décider (NL), le préteur renvoyait l'affaire à une nouvelle
session qui pouvait être suivie de plusieurs autres, jusqu'au
moment où les judicesjurati se seraient fait une conviction dans
la cause. Cependant l'ampliatio, déjà plus rare depuis l'établissement
des commissions permanentes, tomba en désuétude, et
fut remplacée par la comperendinatio, c'est-à-dire, par une seconde
plaidoirie qui avait lieu le surlendemain de la première,
de manière à faire corps avec la précédente instance dont
l'ampliatio se détachait essentiellement.
Le jugement une fois prononcé, le héraut se faisait entendre
une dernière fois, en proclamant à haute voix l'llicet qui
annonçait la fin de l'audience et congédiait les assistants.
Cette esquisse d'une instance romaine empruntée à une
législation trop peu étudiée en France, peut suffire (tout
incomplète qu'elle est) à révéler les principes qui présidaient
à l'instruction et au jugement, et dont quelques-uns vivent
encore dans les lois criminelles des peuples civilisés. Mais
cette admirable organisation judiciaire qui avait protégé les
libertés des citoyens au temps où Rome méritait d'être
libre, .ne survécut pas aux grands hommes dont l'austère
dévouement avait retardé la chute de la République. Minée
dans quelques-uns de ses principes fondamentaux dont
l'application avait été faussée ou perfidement exagérée, elle
succomba; mais nous croyons qu'elle périt non par des vices inhérents à son institution, mais par l'effet de cette corruption
générale des moeurs si fatale à toutes les institutions qui
avaient fait la gloire et la grandeur des Romains. C'est ainsi
que le droit d'accusation publique étendu à tous les citoyens
exigeait un patriotisme et des vertus que Rome ne connaissait
plus quand elle eut ramassé les vices en même temps que les
dépouilles du monde entier; c'est ainsi que le principe du
jugement par le peuple lui-même ou par des judices selecti ne
devait point résister à la cupidité qui envahit les juges et leur
fit préférer les richesses à l'antique probité de leurs ancêtres.
Prise dans son ensemble, cette organisation judiciaire, digne
de tant d'éloges, était infectée d'un vice qui nous en fait presque
oublier les beautés, et qui devait, avant toute autre cause,
amener un jour sa ruine; nous voulons parler de l'odieuse
inégalité de son application. Loi d'exception faite pour un petit
nombre de privilégiés, c'était un majestueux édifice élevé
pour les citoyens romains, et dont étaient impitoyablement exclus
tous ceux qui ne possédaient point ce titre pompeux. C'est
surtout dans les lois criminelles qu'il faut voir combien était
immense, épaisse, infranchissable, cette barrière élevée par
l'orgueil du civis romanus entre Rome et le reste du genre
humain. Aucune partie de la législation ne témoigne d'une
manière aussi vive, et il faut le dire, aussi révoltante, de
cet égoïsme féroce qui, déguisé sous le nom de raison d'état,
sacrifiait impitoyablement tout ce qui n'était pas jugé digne
des priviléges de la cité. Chaque ligne de ces lois criminelles
révolte le sentiment de l'humanité par les distinctions iniques
qu'elles consacrent, soit dans les peines, soit dans les formes
d'une procédure si protectrice pour les uns, si impitoyable
pour les provinciaux, les esclaves, les gens de basse condition
, les humiles. C'est à eux qu'elles réservent les supplices,
les chaînes, les horreurs de la torture, à eux qu'elles refusent toutes ces garanties prodiguées avec un respect scrupuleux et
un soin si excessif à la personne sacrée du citoyen romain,
et les prudents dont l'esprit ingénieux accumule jusqu'aux
hypothèses les plus invraisemblables pour expliquer une loi
civile, ne se demandent jamais si l'esclave n'aurait pas
comme homme quelque droit aux, sollicitudes de leur équité.
Cette perpétuelle application du vae victis dans des matières
où elle est par-dessus tout odieuse, le contraste irritant qui
règne entre les belles maximes des jurisconsultes sur le juste,
et la constante consécration de la plus flagrante injustice,
produisent dans l'étude des lois criminelles des Romains,
une fatigue et aussi un enseignement qu'on ne rencontre pas
au même degré dans d'autres parties de leur droit.
Il fallait plus que la philosophie des grands hommes de la
Grèce ou de Rome pour triompher du plus cruel des préjugés;
et pour faire reconnaître à l'orgueilleux citoyen un frère et
un égal dans l'esclave que ses lois distinguaient à peine de
l'animal, et traitaient souvent plus durement encore. Une
lumière divine a brillé au sein des ombres épaisses qui voilaient
aux yeux de ces sages celui de tous les droits qui nous
parait aujourd'hui le plus évident et le plus sacré; mais,
hélas !la lutte est longue entre le juste et l'injuste, ou plutôt
elle dure toujours, et remplit l'histoire qui n'a de véritable
intérêtque lorsqu'elle en retrace les diverses phases
Puissent les flots de sang qu'elle fait répandre, aujourd'hui
même, assurer le triomphe de l'humanité chez un peuple qui
a su imiter Rome dans la pratique de toutes les libertés, en
même temps que dans le maintien et la consécration de
l'esclavage !
Ainsi, les Romains possédaient, il y a plus de dix-huit siècles,
une organisation judiciaire qui, malgré ses défauts, présentait
un ensemble digne d'être proposé encore aujourd'hui au respect et à l'imitation des nations modernes. On y rencontrait
tous les principes qui actuellement encore inspirent et
vivifient la législation des peuples les plus civilisés; le droit
d'accusation appartenant à tous les citoyens; la publicité des
débats, qui ne fut jamais plus complète dans aucun temps; la
procédure orale, inconnue encore à des pays que l'on dit
marcher à la tête du progrès; le jugement de l'accusé par
des citoyens choisis et agréés par lui; une modération extrême
dans les châtiments; l'absence de toute rigueur inutile contre
l'inculpé que l'on soumettait à peine à la mesure quelquefois
nécessaire, mais toujours cruelle de l'emprisonnement préventif;
enfin, un ensemble de libertés largement équilibrées entre
la défense et l'accusation. Quelques-uns des principes de cette
législation ont survécu à la ruine du peuple qui l'avait fondée;
ils ont traversé les âges avec des fortunes diverses, quelquefois
complétement méconnus, souvent détournés de leur sens
primitif; mais se retrouvant toujours dans les institutions d'un
peuple libre, et destinés, il faut le croire, à prendre place
un jour dans les codes de quelques nations de l'Europe moins
avancées aujourd'hui que ne l'étaient les Romains il y a deux
mille ans.
Nous avons dit que les règles qui formaientla base de la
législation romaine, avaient été quelquefois complètement méconnues.
Quel est le peuple, quel est le temps qui nous fournira
sur ce point un contraste complet? Faal-ille demander à l'époque
la plus éloignée de notre histoire nationale ? ou aux premiers temps de la féodalité, à ce moyen âge trop attaqué de
nos jours, peut-être aussi trop défendu, objet d'admirationet de
critiques également injustes et passionnées? Non assurément;
car, au milieu des ténèbres d'une civilisation qui se reconstituait
après tant de bouleversements, chez ces peuples que nous
qualifions peut-être trop facilement de barbares, nous trouverions une législation criminelle qui se rapproche, à beaucoup
d'égards, de celle dont nous venons d'esquisser à grands
traits les caractères principaux. Nous y trouverions, comme à
Rome, l'action publique abandonnée sinon à tous les citoyens,
du moins à la partie lésée; nous y verrions, comme à Rome,
le jugement par les jurés, non pas seulement dans la cour
féodale où, en vertu d'un principe fondamental de droit,
l'accusé était jugé par ses pairs (l'homme de poeste par ceux
de sa chatellenie, le gentilhomme par des gentilshommes),
mais jusque chez les Germains où le mallum était composé
de boni homines in mallo residentes, conservant toujours en
principe le droit de siéger au mallum, alors même que fatigués,
mais non exclus de ces fonctions, ils avaient consenti à
se faire remplacer par des scabius permanents. Les mêmes
lois admettaient et exigeaient même formellement, une publicité
sans réserve pour tous les actes de la procédure
criminelle, et repoussaient l'instruction écrite qui répugnait
autant à la loyauté de nos aïeux qu'à leurs habitudes
peu lettrées. Sans doute, le système des preuves offre une
large prise à la critique et révèle l'esprit grossier d'un
temps où la force matérielle triomphait trop souvent de la
justice, mais du moins dans cet ensemble de pratiques barbares
et absurdes qui corrompaient une organisation judiciaire
féconde en grands principes, se manifeste la loyauté de
nos pères; leur foi naïve et enthousiaste, et une invincible
horreur pour les tortueux détours d'une procédure dont ils
eussent exécré les cruautés. C'était en plein soleil, en face d'un
peuple entier, que s'accomplissaient les actes de la justice, et
si le combat judiciaire était un médiocre élément de conviction, du moins la lutte était-elle égale entre l'accusateur et l'accusé, et
valait assurément la preuve que des juges d'une autre époque
demandaient à la torture, odieuse pratique sur laquelle les
lois germaniques gardent le silence le plus absolu. Ces mêmes
lois commandaient aussi le respect de l'accusé auquel sa
seule faiblesse savait trouver un appui dans ces temps généreux,
et bien loin de le priver de défense ou de conseil
comme le fit une disposition expresse qui déshonore la législation
d'un temps bien postérieur, ces barbares aimaient
mieux croire à l'intervention de Dieu lui-même descendant,
pour ainsi dire, dans l'arène pour servir d'avocat à l'opprimé
et faire triompher son innocence par un miracle au milieu
d'une épreuve judiciaire !
Ce ne sont donc pas les lois de cette époque reculée qui nous
offriraient le contraste que nous cherchons. Il faut franchir
plusieurs siècles, et le demander à un âge à la fois plus brillant
et plus rapproché du nôtre.
« Quiconque pense, a dit Voltaire, ne compte que quatre
siècles dans l'histoire du monde; ces quatre âges sont ceux où
les arts ont été perfectionnés. » La France peut, sans doute,
revendiquer une large part dans les triomphes de l'esprit
humain; aussi est-il deux époques de notre histoire nationale
auxquelles nous reportons surtout nos regards avec une légitime
complaisance, et dont nous aimons à offrir le spectacle à
l'admiration des étrangers. L'une d'elles s'ouvre au xvi° siècle:
un roi brillant de jeunesse et d'ardeur réunissait alors le prestige
de ses qualités chevaleresques à celui d'un pouvoir absolu
que ne connaissaient point ses prédécesseurs; seul il résiste à
toute l'Europe liguée contre lui, et poursuit avec constance la
gloire des armes pour obtenir surtout celle que donnent les
lettres et les arts à ceux qui les aiment et les favorisent. Sa munificence
intelligente attire et retient à la cour les savants et les artistes de l'Europe entière, et il donne à son pays le signal
de ce grand mouvement intellectuel que les historiens nous présentent
comme le réveil de la raison humaine, le triomphe de
la pensée sur la force brutale, et le point de départ de la
civilisation moderne. Un mot exprime et résume les aspirations
et les gloires de cette époque qu'on a appelée la Renaissance.
Il était donné au règne de Louis XIV de porter encore plus
haut la grandeur de la France, et d'unir à la gloire des armes
celle des lettres, des arts et du commerce. Une pléiade de
grands hommes se presse autour d'un trône d'où descendaient
toutes les faveurs; leur génie nous a retracé dans
d'inimitables chefs-d'oeuvre les merveilles du règne le plus
brillant de la monarchie française, aussi la gloire de ces
témoins des splendeurs de Louis XIV est-elle inséparable de
celle du monarque qui sut si admirablement choisir et récompenser
le mérite; leur renommée lui fait, pour ainsi dire,
cortége dans la postérité qui les confond dans un même hommage,
et a donné le nom du roi au grand siècle qu'ils ont
illustré.
L'étranger qui étudie nos annales est frappé de la grandeur
du tableau que lui présentent ces deux époques. Il admire
cette civilisation qui a produit les plus magnifiques monuments
de l'art; ces progrès rapides accomplis dans toutes les voies
de la science, et le majestueux ensemble qui résulte de
tant de beautés. Il demande alors à connaître les lois pénales
sous la protection desquelles se sont opérées ces merveilles;
sans doute, elles sont en harmonie avec ces moeurs pleines de
douceur et d'élégance; elles répondent par leur humanité, par
la modération et la sagesse de leurs dispositions à cette haute
culture intellectuelle manifestée par tant de chefs-d'oeuvre
exquis; elles sont, dans tous les cas, aussi supérieures aux lois de Rome que la civilisation chrétienne et française du
XVIIe siècle l'emporte sur les institutions des Antiens.
On répond à cet investigateur trop intime en lui présentant
l'ordonnance donnée, en 1670, par Louis XIV, pour les matières
criminelles, ordonnance qui maintenait et confirmait
un système de procédure inauguré en 1498 par Louis XII, et
développé en 1539 par François l, à Villers-Coterels.
Voici le tableau et le contraste que lui offre l'ensemble de
cette législation:
Les ténèbres de. la procédure inquisitoriale ont remplacé le
grand jour de la publicité romaine, et la grossière mais loyale
procédure des Germains. La dénonciation a succédé à l'ancienne
action populaire; la partie lésée n'accuse plus, elle se
plaint, et remet son action entre les mains des juges qui
procèdent aux actes de la procédure, et relèvent eux-mêmes
les nullités qu'ils y ont commises.
C'est par l'information que se recueillent les charges et les
preuves qui doivent les appuyer; cette première phase de
l'instruction était secrète comme les autres, et n'admeltait
plus même les faibles garanties de l'enquête qui, dans une de
ses formes du moins, exigeait la présence de l'accusé, lui
permettait de produire ses témoins justificatifs, et d'exercer
le droit de récusation. L'information se faisait dans le mystère,
par un seul juge, hors de la présence de la partie civile et
de la partie publique et sans que l'accusé connût ni son
délateur, ni même l'accusation qu'on lui intentait. La procédure
orale a disparu depuis longtemps, ainsi que le jugement
par les hommes du lieu ou les jurés, et tout se formule par
écrit; le cahier d'informations qui contient les déposilions
des témoins est mis dans un sac, et c'est ce sac que l'on apporte aux juges au lieu de leur amener les témoins qui
parfois ne se présentaient que sous l'influence des moratoires
publiés par les autorités ecclésiastiques.
Après l'information venait le décret, véritable jugement
préparatoire en vertu duquel l'inculpé pouvait être pris au
corps et jeté en prison, sans avoir encore connaissance du
crime dont on l'accusait. Il comparaît cependant secrètement
et sans assistance, devant un juge, pour subir son interrogatoire;
mais ce juge est seul, et rien ne pourra contrôler ses
actes. La mission de ce magistrat est de profiter du trouble et
de l'angoisse des premières heures de prison, pour arracher
à l'accusé un aveu d'autant plus suspect qu'il aura été précédé
du serment, c'est-à-dire, d'une torture morale qui plaçait le
coupable entre le parjure et le suicide. Epouvanté de l'horreur
des crimes dont on l'accuse, et plus encore des circonstances
qui semblent rendre sa culpabilité vraisemblable,
rempli de trouble à la seule idée des supplices qui l'attendent
s'il avoue, et de ceux auxquels il s'expose en niant le fait
qu'on lui impute, le malheureux accusé demande à réfléchir
aux questions redoutables qu'on lui fait; il supplie qu'on
lui laisse le temps de réunir ses esprits, afin de trouver un
moment de calme à l'aide duquel il fera tomber des préventions
habilement suscitées. On lui déclare avec l'article 8 du
titre xiv de l'ordonnance de 1670, que l'accusé doit répondre
sans délai. Il implore alors le secours d'un conseil, d'un défenseur
dont la science et le dévouement rassureraient son âme
ébranlée, le guideraient au milieu des ténèbres d'une procédure
où tout est embûches, et le préserveraient des pièges qui lui sont
tendus par des accusateurs inconnus, peut-être ses ennemis.
On lui montre alors le texte de l'ordonnance qui prescrit à
l'accusé de répondre par sa bouche, et sans le ministère du
conseil; prohibition odieuse, presque incroyable, oubliée par Tibère lui-même, et qui, depuis l'ordonnance de 1670,
s'étendait à tous les actes de la procédure, même après la
confrontation, nonobstant tous usages contraires: « A tout le
moins, s'écrie Ayrault, en 1588, nous deveroit-il rester, le
procès estant instruict, d'ouïr les parties en plaidoirie »
Mais cette réclamation ne fut pas entendue, la voix de l'accusé
devait être étouffée jusqu'à la fin de cette inique procédure,
et le secret maintenu jusqu'à la prononciation du jugement,
et même au delà .
Lorsqu'après l'examen de la procédure, les juges ordonnaient
le règlement à l'extraordinaire, on procédait au récolement
et à la confrontation des témoins, mais l'accusé était
tenu de proposer ses reproches contre eux au moment même
où ils lui étaient présentés et avant la lecture de leur déposition,
sans pouvoir obtenir un sursis pour s'enquérir de la
vie et de la moralité de ces témoins inconnus, ainsi que des
raisons secrètes qui peut-être avaient excité leur vengeance
et dicté une déposition mensongère. L'accusé devait de plus
nommer les témoins par lesquels il entendait prouver ses
reproches ou faits justificatifs à l'instant même où ces faits
étaient énoncés, soit par lui, soit par le juge, sous peine de
n'être plus reçu à faire cette preuve. En vain il demande
ordonnance lui refuse ce droit pour le donner au juge; l'information à décharge est du reste séparée de l'information
à charge, et il faut un jugement pour l'autoriser. Il faut aussi
un jugement pour permettre à l'accusé de faire valoir ses faits
justificatifs, il ne peut les prouver qu'après l'instruction terminée,
et toute l'éloquence de d'Aguesseau obtient à grand
peine, dans un procès célèbre, qu'un homme que l"on croyait
assassiné pût prouver sa vie en se montrant aux magistrats
avant la fin de l'instruction.
Cependant les charges qui s'élèvent contre l'accusé ne paraissent
pas suffisantes aux juges; leur conviction hésite à se
former au milieu du dédale des preuves légales dans lequel
les emprisonne la loi; la conscience et la raison des magistrats
chancellent devant les artificieuses et innombrables
distinctions faites par les jurisconsultes en cette matière;
mais le législateur vient à leur secours, sa prévoyance leur a
donné un moyen de s'éclairer, et ce moyen c'est la torture.
Les juges ordonnent que l'accusé soit mis à la question; c'est
dans ses gémissements douloureux, c'est dans ses cris de
désespoir qu'ils cherchent la conviction qui les fuit; elle ne
sera complète que lorsque les os du malheureux auront craqué
sous l'effort des brodequins, ou que l'huile bouillante aura
dévoré ses pieds. Si la force morale ou physique du patient
résiste aux horreurs de la question préparatoire, s'il ne fait
aucun aveu qui vienne ajouter le plus petit indice à cette
preuve que les juges considéraient comme insuffisante, il échappe à la mort mais, par une logique bien digne des
lois pénales de ce temps, il peut être condamné à toute autre
peine, même à celle des galères à perpétuité.
On pourrait croire que le législateur des ordonnances qui
avait si étroitement emprisonné les magistrats dans le cercle
de fer des preuves légales, s'était montré plus sévère encore
contre l'arbitraire dans les peines, et avait tracé, en cette
terrible matière, des limites infranchissables. Il n'en est rien;
la pénalité de cette époque présente l'affligeant tableau des
supplices les plus atroces appliqués avec une révoltante inégalité
par des juges dont aucune loi précise ne contenait le
libre arbitre. La potence, la roue, le feu, l'écartellement,
l'amputation du poing, toutes ces barbaries ne peuvent
satisfaire la soif de sang qui semble les pénétrer; il leur appartient
de géminer les peines et de les combiner entre elles par le
plus monstrueux des raffinements, et lorsque les juges veulent
abréger les tortures d'un malheureux condamné, ils le font
par un article secret de leur sentence, un relentmn, comme
s'ils n'osaient ni céder à un sentiment d'humanité, ni enlever
au peuple une partie du hideux et immoral spectacle que leur
jugement lui promettait. La condamnation à une mort lente et exaspérée n'épuisait
pas l'omnipotence des juges; non seulement ils poursuivaient
le coupable la loi à la main jusque dans ses enfants et sa
famille en confisquant ses biens dans une mesure que la
cupidité romaine ne connut même pas (1),
(1) Quand le condamné avait des enfants, on leur laissait, à Rome, la moitié du patrimoine paternel. Justinien n'appliquait pas la confiscation lorsqu'il existait des descendants ou ascendants.
mais ils avaient le
droit de faire subir à un condamné à mort les tortures de la
question préalable, et telle est l'effrayante facilité avec laquelle
on s'habitue aux excès les plus révoltants, au point même de
les trouver nécessaires, que lorsque Louis XVI abolit la question
préparatoire, il laisse subsister la torture définitive et
n'ose la retrancher de nos lois que huit ans plus tard, mais,
provisoirement, et avec cette réserve craintive qu'on apporte
dans les innovations les plus audacieuses.
Ainsi, au XVIIIe siècle, au centre de la civilisation, plus de
deux mille trois cents ans après le jour où Rome avait établi
les quaestiontes perpetuae, la France subissait une législation pénale
qui supprimait le débat oral, l'audience publique, les anciennes
formes protectrices de la poursuite; qui privait l'accusé
de conseil et de défense, qui l'obligeait au serment et lui enlevait,
en un mot, toutes les garanties qu'elle donnait à l'accusateur
; une législation qui admettait le secret, les preuves
légales, la torture sous les formes les plus odieuses, et abandonnait
au bon plaisir du juge tous les supplices inégaux et
atroces qui peuvent corrompre la multitude sansapaiser sa
cruauté. Si nous avons jeté ce rapide coup d'oeil sur les ordonnances
criminelles des derniers siècles ce n'est point pour nous
donner le facile avantage de faire le procès d'une législation
dont un de nos éminents criminalistes a pu dire qu'elle était
le plus complet oubli des premières notions d'humanité et de
justice, nous avons voulu l'opposer aux lois romaines si
libéralës, si pleines de protection pour l'accusé, et tirer, s'il
était possible, quelqu'enseignement d'un pareil contraste.
N'est-ce pas le devoir du jurisconsulte et du publiciste de parcourir
incessammentla voie dans laquelle s'avance l'humanité
depuis le commencement des âges, pour mesurer les phases
diverses de sa marche, éclairer l'avenir par les enseignements
du passé, signaler les obstacles qui ont retardé quelquefois
pendant des siècles chez un peuple un progrès facilement
accompli par une nation voisine? Ainsi faisait le sage et bon
Ayrault quand, en 1589, il offrait au législateur des ordonnances
le tableau des lois romaines pour l'opposer à celles
qui régissaient et désolaient la France. Sans doute, son excellent
livre n'eut pas alors tout le succès qu'il méritait puisque
l'ordonnance de 1670 a imité et accru la rigueur de celles de
François Ier, mais la grave parole du vieux jurisconsulte a
peut-être inspiré les énergiques protestations des Harlay et
des Lamoignon, et préparé les améliorations par lesquelles la
jurisprudence a adouci la sévérité des lois pénales de cette
époque.
Notre temps n'a pas, grâce à Dieu, un enseignement aussi
direct et aussi complet à demander aux Romains; nos lois
criminelles ont changé de face en 1789, elles ont été alors l'objet, non pas d'une amélioration partielle, mais d'une
reforme absolue, et cependant telle est la lenteur désolante
des progrès en cette matière, qu'en 1818, un magistrat pouvait
dire, dans un livre célèbre, en parlant des codes criminels
de son temps: « Nos lois pénales sont à mille siècles de
l'époque où nous vivons. » Ce jugement déjà trop sévère
à notre avis, pour le temps où il était porté, ne saurait,
sans une évidente injustice, être appliqué à nos lois actuelles
après les révisions qui ont été faites en 1825, 1832,
et depuis 1850; mais peut-on affirmer d'une manière
absolue, sans tomber dans une exagération également dangereuse,
qu'elles aient atteint un point de perfection qui
rende inutile toute tentative de réforme? N'y a-t-il pas dans
nos lois pénales ou dans notre procédure criminelle, quelque
point susceptible d'un changement désirable? L'accusation et
la défense jouissent-elles de cette exacte mesure de liberté
qui concilie d'une manière satisfaisante les droits de la société
avecles justes égards dus à un accusé peut-être innocent?
N'ya-t-il aucun effort à tenter pour diminuer et adoucir
certains maux nécessaires, tels que la prison préventive
et les aggravations dont elle peut être accompagnée?
Est-il impossible d'y substituer, en certain cas, quelque mesure
moins rigoureuse, ou au moins de hâter le moment du
jugement, en accélérant la procédure? La loi qui règle la
mise en liberté sous caution est-elle à l'abri de tout reproche?
Ce sont là des questions graves sur lesquelles nous ne sommes
point appelé à nous prononcer, et que nous ne pouvons examiner
ici; diverses causes viennent d'ailleurs de les recommander d'une manière pressante à l'attention de tous, et des
efforts heureux devançant une mesure générale qu'on nous
fait espérer, ont déjà amené les résultats les plus importants dans un sujet où le plus petit changement peut être
un bienfait ou un malheur pour l'humanité. Des problèmes
de cette importance ne reçoivent point leur solution sans une
étude profonde de toutes les législations qui ont cherché à les
résoudre, et s'il répugne à notre amour-propre national, plutôt
qu'à un patriotisme bien éclairé, de demander à nos voisins
quelqu'une de ces choses utiles que leur législation pourrait
peut-être nous apprendre, jetons du moins, une fois de
plus, un regard sur ces lois romaines auxquelles nous avons
demandé tant d'utiles leçons; leurs dispositions, en cette
matière, peuvent offrir à notre société moderne sinon un
modèle à suivre, du moins un sujet sérieux de méditations. Nous ne saurions, pour faire cette étude, nous adresser à
un meilleur guide que M. Walter; grâce à lui, nous pourrons
pénétrer, pour ainsi dire, dans l'intimité des lois et par conséquent
des moeurs romaines. La partie du livre consacrée au
Droit criminel est divisée en huit chapitres dans lesquels
l'auteur étudie successivement les délits, les peines et la
procédure criminelle des différents âges de Rome, depuis le
moment où l'histoire se confond presque avec la légende,
jusqu'à celui où la remarquable organisation judiciaire dont
l'auteur nous offre le tableau, se dénature et se perd en même
temps que le peuple dont elle avait fait la force et la grandeur.
Ce qu'il faut louer dans l'oeuvre de M. Walter, c'est l'alliance
d'une immense érudition avec cette sobriété, signe de force et
de goût, qui n'appartient qu'aux écrivains assez savants pour
être courts, et assez maîtres de leur sujet pour abandonner à
la sagacité du lecteur les conséquences de principes savamment
posés. Ce qu'il faut admirer encore, dans notre auteur,
c'est une parfaite clarté qui, en dépit de préjugés trop longtemps
répandus contre les écrivains d'outre-Rhin, nous parait
le caractère le plus frappant de ce livre comme de plusieurs
autres productions récentes également dues aux jurisconsultes
de l'Allemagne. Le temps est passé où l'on nous représentait
l'érudition de cette nation, tantôt comme hérissée d'un amas
barbare de citations indigestes et d'obscurité ssavamment accumulées,
tantôt comme enveloppée de brumes impénétrables
qui glacent et voilent les régions du Nord. Grâce à quelques
habiles traducteurs, plusieurs ouvrages devenus populaires
en France nous ont permis de faire justice de ces faciles
plaisanteries aujourd'hui surannées, et sans parler d'autres
oeuvres qui se trouvent dans toutes les mains, ne devons-nous
pas à un allemand l'un des traités les plus clairs et peut-être des meilleurs sous tous les rapports, qui aient été faits sur
notre propre Code civil?
Il ne tiendra pas à nous que M. Walter ne dissipe encore
un reste de préventions. Personne ne présente la science sous
un aspect plus favorable, et quand on lit son histoire du Droit
romain comme elle doit être lue, c'est-à-dire, les textes à la
main, on est constamment frappé de l'immense érudition et
des vastes recherches qui se cachent sous une forme simple et
concise, et dans un style dont nous ne saurions rendre la
parfaite élégance.
Après l'éloge que nous venons de faire de notre modèle,
nous aurions mauvaise grâce à nous accuser de lui avoir fait
subir le moindre changement; notre constante préoccupation
a été, au contraire, d'en retracer les détails avec la plus fidèle
exactitude, d'en respecter la forme comme le fond, de sacrifier
toujours l'élégance de la phrase à la clarté du sens,
désireux, avant tout, de rendre la pensée de l'auteur sans
y mêler ces impressions personnelles qui méritent à tant
d'écrivains mal avisés les sévérités du proverbe italien:
« traduttore, traditore.» Ce n'est qu'au prix de cette abnégation
qu'un traducteur peut atteindre le but qu'il doit se
proposer et qui est, non point de créer des matériaux, mais
de les transporter, en établissant, pour ainsi parler, des voies de communication entre les grands architectes de la science
de tous les pays. Un jour, un homme de génie rassemble ces
documents épars autour de lui; son esprit généralisateur leur
assigne une place dans une de ces oeuvres capitales qui illustrent
un nom et une nation tout entière; le traducteur, assez
heureux pour avoir pu seconder les inspirations du génie,
recueille alors un fruit inattendu de son travail; ouvrier modeste,
il n'a apporté qu'une seule pierre à la construction de l'édiofie mais il peut la reconnaitre dans une des assises d'un glorieux monument élevé à la science.
Chapitre I
Notions générales
Dans les premiers temps de Rome, alors que la Religion
se liait d'une manière intime à la Constitution, le droit
pénal était également pénétré de son esprit. Fermement
convaincus que les actes coupables attiraient la malédiction
et les châtiments du ciel sur le malfaiteur, ses biens,
sa race et le peuple tout entier, les anciens Romains demandaient au nom de l'intérêt public que les grands crimes
fussent l'objet d'une expiation religieuse, ou de quelque autre
châtiment extraordinaire. Les lois se fondaient sur cette
croyance dans l'application même de la peine de mort; elles
consacraient aux Dieux la tête du coupable aussi les magistrats
faisaient-ils suspendre le criminel à l'arbre consacré aux
Divinités infernales, ou permettaient à chacun de le mettre
à mort; quant à ses biens, ils étaient employés à des
sacrifices, ou à des prières publiques (supplicationes).
Les fragments qui nous restent de la loi des
Douze Tables jettent un peu plus de lumière sur ce sujet.
L'étroite alliance du droit pénal avec le droit sacré y paraît
visiblement amoindrie; les méfaits les plus graves y sont
décrits avec les peines qui les frappent; déjà même l'on peut
apercevoir entre les délits une double distinction. Quelques uns
étaient menacés de peines publiques, la peine de mort
n'en atteignait que le plus petit nombre ; pour d'autres, le
châtiment consistait en une amende au profit de la partie
lésée, ou tendait seulement à satisfaire la victime en lui permettant
d'exercer des représailles s'il n'intervenait point de
composition amiable entre les parties. De là naquit avec le
développement du droit la distinction des délits en délits privés,
et délits publics Les premiers servaient de fondement à une
instance devant les tribunaux civils ordinaires pour la poursuite d'une obligation; les délits publics donnaient naissance
à une plainte devant l'assemblée du peuple; les premiers
étaient comme d'autres parties du droit privé, l'objet des prescriptions
de l'édit des préteurs; les derniers n'émanaient
que de la loi elle-même. Vers la fin de la République, lorsque
la décadence des moeurs et la chute des anciennes institutions
eurent nécessité d'énergiques réformes dans le droit pénal,
ces délits publics devinrent l'objet de l'attention spéciale des
autorités qui gouvernaient l'Etat. Il parut concernant les
crimes les plus graves de différentes espèces, des lois fort détaillées
qui organisaient pour chaque crime un tribunal spécial
permanent, et indiquaient d'une manière explicite la procédure
à suivre dans sa poursuite, et la mesure de la peine à
appliquer pour sa répression. Telles furent notamment les lois
Cornéliennes de Sylla, celles de Pompée, les lois Julia de
César et d'Octave. Les instances organisées par des lois semblables
devant les commissions permanentes (quaestiones perpetuae)
furent dès lors considérées comme la règle; dans les
autres cas, qui formèrent l'exception, la procédure pénale
était extraordinaire (extra ordinem quaerere) et la justice était
rendue par le peuple lui-même, ou par une commission instituée
pour chaque procès.
Sous l'Empire, il est vrai, apparurent d'autres juridictions
avec une procédure nouvelle pour remplacer les anciens
tribunaux; cependant les lois antérieures servirent toujours de
règle sous le rapport des incriminations comme pour les
pénalités, et l'on ne donna le nom de judicia publica qu'aux
actions pénales qui se basaient sur elles; sans doute un
grand nombre d'actions non prévues par ces lois furent considérées
comme délits par les rescrits impériaux, ou la jurisprudence, et punies comme donnant lieu à des actions pénales, seulement, les méfaits de cette espèce furent
appelés (pour les distinguer des autres) extraordinaria crimina ou aussi privata crimina. Le juge avait généralement
une grande liberté dans leur répression, et pouvait
aller jusqu'à la peine de mort; dès lors, même quand il
s'agissait de délits ordinaires, le libre arbitre du juge put se
mouvoir avec une grande latitude pour déterminer la mesure
de la peine.
Avec le temps, plusieurs délits privés furent punis de
peines publiques déterminées soit par les lois, soit extra ordinern. Le plaignant avait alors l'option entre l'action privée
et une accusation publique; mais quand il avait choisi
l'une des deux voies, et que la peine avait été prononcée, il ne
pouvait plus revenir à l'autre; de même, il était de règle
qu'une peine extraordinaire ne pouvait point se cumuler avec
celle qui résultait d'une action privée. Une instance purement
civile pouvait cependant s'intenter parallèlement à l'action criminelle; au contraire, la poursuite d'une peine au
point de vue du délit privé, n'était pas autorisée lorsque le fait
rentrait par sa nature sous l'incrimination plus spéciale d'un
délit public déterminé.
Des Délits privés.
A l'époque où la jurisprudence Romaine était florissante,
on rangeait parmi les délits privés le vol (furtum),
la rapine (rapina), l'injure (injuria), et le dommage causé
injustement (damnum injuriadalum). Cette énumération n'est
cependant pas complète 1); beaucoup de faits appartenant à
ce genre de délits étaient frappés de peines publiques; nous
devons les mentionner ici, à cause de leur liaison avec les
délits privés.
Le furtum ne pouvait avoir pour objet qu'une chose
mobilière 2) ou une personne placée sous la puissance d'autrui
3). L'opinion de Sabinus qui prétendait que les immeubles
étaient aussi susceptibles d'être volés ne fut point admise 4).
Le vol fut considéré dans les temps les plus reculés comme un
fait particulièrement déshonorant. D'après la loi des Douze
Tables, le voleur était battu de verges, et s'il était libre, il était attribué à celui qu'il avait volé (addictus) pour devenir
son esclave selon les uns, ou, d'après une autre opinion, pour
subir le sort d'un adjudicatus 5). Ce délit était donc autrefois
capital, et chaque vol comportait incontestablement une
poursuite publique. Mais précisément à cause de la rigueur
d'une peine dont la sévérité disproportionnée était calculée
pour produire une grande intimidation, on exigeait que
la preuve du délit fût indubitable, et le voleur pris sur
le fait. En l'absence de cette condition, la loi des Douze
Tables n'imposait pas d'autre peine que le payement du
double de la valeur de l'objet volé pour compenser le dommage
causé 6). Les préteurs partirent de là suivant leur coutume
pour adoucir la législation. On établit une distinction entre le
furtum manifestum, et le furtum non manifestum. Le premier
a lieu quand le voleur est pris sur le fait, ou dans le lieu
même où se commet le vol, ou encore en possession de la
chose volée avant qu'il l'ait mise en lieu de sûreté; dans ce
cas, l'édit remplaça la peine capitale par une adjudication
pécuniaire du quadruple de la valeur de l'objet volé; pour le
vol non manifeste, la peine consista comme par le passé dans
le payement du double 8). On pouvait en outre agir contre le
voleur par la condictio furtiva pour obtenir la restitution de la
chose ou une somme équivalente 9), ou aussi par l'action en
revendication dans la plupart des cas 10); déjà d'après les
Douze Tables et la loi Atinia, l'usucapion ne protégeait pas l'acquéreur de bonne foi contre la revendication. Quand
la peine pécuniaire et l'indemnité représentant la valeur
de l'objet volé ne pouvaient être payées (et cela devait
arriver fréquemment), le voleur pouvait toujours être adjugé
au volé pour le servir jusqu'au payement intégral de sa
dette. Chose remarquable, la loi des Douze Tables autorisait
déjà en cas de vol, une sorte de composition entre les
parties, cela s'appelait pro fure damnum decidere, et au
moyen de cette transaction, l'action était éteinte, non point
par exception seulement, mais ipso jure. Il arriva dès lors
que, toutes les fois que le voleur pouvait payer, les peines
rigoureuses du vol manifeste étaient écartées par la loi elle-même.
Sous le régime de l'édit, il fut établi que la demande
d'une indemnité pécuniaire considérée comme action civile
devrait précéder Faction prétorienne pour le quadruple ou le double. Quant à la condictio furtica, elle n'était point
éteinte par la composition). Conformément à la loi des Douze Tables, on permettait
à la victime du vol une perquisition contre celui qu'elle
désignait comme l'auteur du fait. Quand celui qui se prétendait
volé entreprenait cette recherche, tout nu, couvert seulement
d'une ceinture et portant un bassin en main, (furturn
per licium et lancem coneeptum), et qu'il parvenait à trouver
l'objet soustrait, le vol découvert par ce moyen était puni
comme un vol manifeste, tant parce que la culpabilité du
voleur était évidente, que parce qu'il avait laissé les choses
en venir à ce point. La loi des Douze Tables ainsi que
l'édit, donnaient l'action furti concepti au triple contre
celui chez lequel on avait cherché et découvert l'objet volé,
devant témoins en suivant les formes ordinaires, quand
même il n'était pas l'auteur du vol; toutefois, l'innocent chez
lequel on avait méchamment caché un objet volé pouvait
diriger contre l'auteur de ce méfait l'action furti oblati élevée
au triple. La loi des Douze Tables n'avait pas prévu le cas
où quelqu'un se refuserait à laisser faire la perquisition chez
lui, mais l'édit accordait alors l'action furti prohibiti élevée
au quadruple. Le préteur donnait également une action furti non exhibiti contre celui qui refusait la restitution de la
chose trouvée. Plus tard, les actions relatives au furtum conceptum, oblatum, prohibitum et non exhibitum tombèrent en
désuétude, et celui qui avait récélé sciemment fut traité
comme l'auteur d'un vol non manifeste. Au reste, le droit
domestique autorisé par la loi des Douze Tables, permettait
de mettre à mort le voleur pris sur le fait; le voleur de nuit
pouvait être tué dans tous les cas, et le voleur de jour
quand il se défendait avec une arme. Plus tard, la loi se
montra moins rigoureuse dans les deux hypothèses, et le
droit de faire périr le voleur fut réduit au cas de nécessité
absolue.
Indépendamment de ces peines, il existait diverses
espèces de prescriptions pénales relatives à des cas particuliers
de vol. C'est ainsi que celui qui avait sciemment employé
les matériaux d'autrui à l'édification de sa maison ou de sa
vigne, pouvait être poursuivi pour le double suivant une
prescription émanant déjà des Douze Tables. La même
législation punissait de la strangulation le fait de faucher
pendant la nuit le champ de blé d'autrui, ou de mener frauduleusement
des bestiaux paître dans sa prairie. Des peines
extraordinaires frappaient l'abigeat ou le vol des bestiaux
qui étaient du reste en Italie l'objet d'un ensemble spécial de
dispositions protectrices. Les lois punissaient de la même
manière les auteurs de vols commis dans les bains publics ;
les Directarii, c'est-à-dire ceux qui pénétraient dans les demeures avec l'intention d'y voler; ceux qui s'étaient
rendus coupables de pillages, et de soustractions commises
avec effraction. L'expilatio hereditatis était également punie
depuis une oratio de Marc Aurèle ; il en était de même des
vols commis dans les monnaies impériales, et de ceux qui
avaient été exécutés pendant la nuit par des malfaiteurs
faisant usage de leurs armes pour se défendre). Le vol fut
en dernier lieu, la plupart du temps, l'objet d'une procédure
criminelle extraordinaire. Justinien défendit de punir
en aucun cas les voleurs en les privant de la vie ou de leurs
membres; chose digne de remarque, aucune loi ne donnait
d'action pour la poursuite des vols domestiques de peu
d'importance commis par les esclaves, les affranchis ou les
journaliers.
Le préteur M. Lucullus fut le premier qui rendit un
édit contre la rapine. Ce magistrat voulant faire cesser
des désordres survenus à l'occasion de troubles populaires,
menaça de la peine du quadruple les auteurs de dommages
causés avec violence par des rassemblements armés. Plus
tard, les dispositions et la portée de l'édit furent appliquées
à tous les genres de dommages, fussent-ils causés par un seul
malfaiteur lorsqu'il employait la violence pour l'exécution de ses mauvais desseins; elles le furent même aux préjudices
résultant de rassemblements non armés opérant sans violence; enfin elles atteignirent toute espèce de rapines,
même celles qui étaient commises par des gens isolés. La
peine du quadruple fut maintenue; toutefois l'opinion
prévalut d'y comprendre l'estimation de la chose ravie. On
pouvait au lieu de l'action résultant de l'édit, employer également
l'actio furti, l'action de la loi Aquilia , une condictio ou
vindicatio, l'usucapion était du reste interdite par les lois Julia et Plautia pour les choses ravies comme pour les objets
volés. Les rapines et dommages causés pendant un incendie
ou autre désastre semblable furent punis d'abord d'une
amende du quadruple par le préteur, et plus tard d'une
peine criminelle extraordinaire.
Quant aux injures, les Romains avaient compris
de tout temps que l'ordre social ne pouvait subsister sans le
respect mutuel des citoyens pour leurs personnes et leur considération.
Aussi, regardaient-ils comme une injure punissable
toute action de nature à entacher l'honneur. Leur
droit positif n'alteignit cependant que peu à peu, et grâce à
la pratique, une certaine perfection sur ce point. Il faut en
cette matière faire ressortir trois points de vue principaux.
En premier lieu, le mépris que l'on professe pour une personne
se manifeste de la manière la plus directe et la plus vive par de mauvais traitements corporels. Les Douze
Tables avaient déjà prévu ce cas. Les mauvais traitements
qui avaient été jusqu'à la mutilation d'un membre étaient
punis (quand les parties ne composaient point) de la peine du
talion, c'est-à-dire de la fracture des membres, d'une
amende de 300 as pour les hommes libres et de 150 pour
les esclayes; toutes les autres injures (ce qu'il ne faut
certainement entendre que des mauvais traitements) étaient
punies d'une amende de 25 as. Les changements qu'éprouvèrent
les moeurs et la valeur de l'argent rendirent ces dispositions
insuffisantes. Alors, par une clause spéciale relative
à l'action d'injures, l'édit ordonna qu'en pareil cas la
fixation du dommage éprouvé fût arbitrée par le plaignant,
le préteur devant estimer lui-même le tort causé par une
injure atroce. Dans cette dernière catégorie furent rangées,
comme sous la loi des Douze Tables, les fractures de membres, et les mauvais traitements d'une certaine gravité.
La considération d'un citoyen (existimatio) peut en second
lieu être lésée par l'expression publique d'une opinion méprisante
à son égard. Les Douze Tables n'avaient prévu à ce qu'il
paraît que le cas le plus grave, occentare et carmen condere, et condamnaient alors le coupable à périr sous le bâton. A ce
point de vue, l'édit punissait non-seulement le convicium, c'est-à-dire les outrages publiquement dirigés contre
une personne, mais aussi les individus qui poursuivaient de
leurs provocations une femme de moeurs honorables, ou qui
séparaient d'elle les personnes qui raccompagnaien.
On considère en troisième lieu comme une offense à l'honneuret
à la considération, non-seulement l'expression publique
du peu d'estime que l'on éprouve pour une personne, mais
même les efforts que l'on fait pour communiquer ce mépris à
d'autres. Peut-être est-ce à ce cas que s'applique l'occentare des Douze Tables dont nous avons déjà parlé. L'édit contenait
sur ce point une disposition qui réservait au préteur le droit
de punir, d'après l'estimation qu'il en ferait lui-même, tous
les actes qui tendaient à porter atteinte à la considération
de quelqu'un. Mais il en résulta une remarquable extension
donnée au sens des mots injuria quae re fit. On fut
amené en effet par les progrès de la jurisprudence à mettre
au nombre des injures, et par conséquent à soumettre à une
action privée, non-seulement ces offenses directes par lesquelles
on porte atteinte à l'honneur et à la considération
d'un citoyen irréprochable, mais en général toute action qui
se présente à l'esprit avec le caractère d'une lésion volontaire
des droits et de la personnalité d'un citoyen, quand cette
action n'était pas dans la catégorie des délits qualifiés. En attendant, la licence toujours croissante des moeurs rendit
nécessaires des prescriptions encore bien plus sévères pour
certaines espèces d'injures. Une loi Cornelia, non pas celle
de sicariis, mais une loi spéciale de injuriis accorda
même dans les trois cas de bourrades de coups et de violation
du domicile d'autrui, une action criminelle dont
l'exercice n'appartenait du reste point à tout le monde, mais
seulement à la partie offensée. On punit en outre spécialement
le fait de composer ou de publier un écrit tendant à
porter atteinte à l'honneur de quelqu'un. Un sénatusconsulte
menace également d'une peine criminelle l'auteur,
le vendeur, ou le distributeur de poésies, épigrammes, ou
images diffamatoires. Des constitutions impériales des
derniers temps prononcent même la peine de mort contre les
auteurs de libelles contenant la dénonciation anonyme d'un
crime imaginaire. Dans un grand nombre de cas, s'introduisirent des pénalités prononcées extra ordinem mais
aussi, l'application des incriminations établies par l'édit du
préteur, la loi Cornelia et le sénatus-consulte, devint plus
arbitraire. On avait alors toujours le choix entre une action
civile et une accusation pénale, et dans ce second cas,
le juge infligeait au coupable une peine extraordinaire dont
il déterminait la mesure. L'action d'injures entraînait l'infamie
pour le condamné, même au civil, mais aussi, l'on
punissait sévèrement celui qui intentait une pareille accusation
par pur esprit de vexation.
Le dommage causé injustement avait déjà été puni
par la loi des Douze Tables, et d'autres dispositions légales
qui toutes ont été abrogées par la loi Aquilia. Cette loi
contenait trois chefs; le second renferme une disposition dont
l'explication ne rentre pas dans notre sujet. Le premier
prononçait contre celui qui avait à dessein ou par sa faute
causé la mort d'un esclave ou d'un quadrupède servant à
l'agriculture, une réparation consistant dans le payement de
la plus haute valeur que la chose avait atteinte dans l'année du dommage. Le troisième chef de la loi Aquilia comprend
tous les autres cas de dommage causé injustement, et fixe
comme mesure de la réparation le prix de la chose pendant
les trente derniers jours avant le préjudice, ce qui s'entendait
naturellement du plus haut prix qu'elle avait atteint.
La loi ne s'appliquait cependant proprement qu'au dommage
causé par un corps à un autre (corpore corpori). Quand cette
première condition ne se rencontrait pas dans l'espèce, le
plaignant n'obtenait qu'une utilis Aquiliae actio in factum,
et une simple actio in factum dans le cas où la seconde
manquait également. Cette loi permettait au reste d'appliquer
au défendeur le double de la peine en cas de négation
du fait par son auteur.
Il existait en outre des dispositions particulières
relatives à divers genres de dommages. La loi des Douze
Tables punissait d'une amende de 25 as par pied celui qui
avait abattu furtivement les arbres d'un autre; le préteur
prononçait dans ce cas une réparation qui s'élevait au double
du dommage causé. Ce délit pouvait même dans certaines
circonstances entraîner une peine criminelle. Un dommage
avait-il été causé méchamment au milieu d'une foule tumultueuse,
l'édit prononçait la peine du double contre l'auteur
du délit,qui pouvait même être frappé d'une peine extraordinaire s'il y avait eu par son fait des personnes lésées dans
leur corps. La loi des Douze Tables, et une certaine loi
Pesulania punissaient déjà le dommage causé par un
animal dont le propriétaire pour peu qu'il eût eu une faute,
même éloignée à se reprocher était tenu à réparation, s'il ne
préférait abandonner l'animal au plaignant à titre d'indemnité.
Les Douze Tables donnaient de plus une action contre
celui dont le bétail était allé paître sur le champ d'autrui).
L'édit des édiles prononçait des peines plus sévères contre
celui qui avait tenu près d'un chemin public un animal dangereux,
et occasionné ainsi un préjudice quelconque. L'édit
contient des prescriptions pareilles à rencontre de l'habitant
d'une maison des fenêtres de laquelle on aurait versé ou jeté
quelque substance ayant causé un dommage à quelqu'un.
Enfin, quand un fils de famille ou un esclave avait causé un
préjudice par un délit ou autrement, le père ou le maître
étaient tenus, soit de supporter les conséquences de l'action,
soit de livrer l'auteur du fait au plaignant. C'est ce qu'avaient
déjà prescrit en partie la loi des Douze Tables, puis
la loi Aquilia et aussi l'édit. Quand plusieurs esclaves
avaient conjointement pris part à un vol, le maître, d'après
une disposition expresse de l'édit, n'était obligé de débourser
que la somme qu'il eût payée si le délit avait été commis par
un seul homme libre. Il faut encore mettre au nombre des délits privés les
faits suivants: Les jeux de pur hasard étaient défendus par
une loi qui même était sanctionnée par la peine du quadruple. Le préteur chercha également à les frapper d'une
manière indirecte, mais les paris aux jeux gymnastiques
étaient autorisés par une loi Titia, Publicia et Comelia, et par
un sénatus-consulte dont le nom n'est pas connu. C'est
sur cette distinction même que reposait la Constitution de
Justinien; seulement, il n'y est question que de la répétition
de ce qui a été perdu, et non de la peine du quadruple.
L'édit protégeait les citoyens contre les exactions et les violences
des publicains par une action pour le double, à
laquelle pouvait encore s'ajouter une peine extraordinaire.
Le préteur donnait en outre une action pour le quadruple
contre celui qui avait reçu de l'argent pour intenter un procès
à quelqu'un ou pour abandonner une instance; ces faits furent
plus tard frappés d'une peine extraordinaire.Enfin, un
édit de Marc-Aurèle punissait, en le privant du droit qu'il
réclamait, celui qui voulait se faire violemment justice par
lui-même; quand il n'était pas propriétaire de la chose qu'il
prétendait se faire attribuer, il était condamné à la restituer
et à en payer la valeur.
On peut en quelque sorte placer dans une catégorie
intermédiaire, entre les délits privés et les délits publics, les
cas d'actions populaires. Ces actions se rapportaient à la
poursuite de certaines contraventions de police. L'autorité n'intervenant point directement dans la poursuite des infractions
de cette espèce, on comptait sur l'activité des
citoyens pour sauvegarder l'intérêt commun, et il était dès
lors permis à tout le monde d'intenter l'action. A ce point
de vue, il y avait de l'analogie entre ces contraventions et les
délits publics. Mais pour que les citoyens eussent un intérêt
positif à se produire dans un débat pour l'avantage de tous, on
assurait au plaignant l'adjudication pécuniaire qui pouvait être
prononcée en réparation du délit. Sous ce rapport, ce genre de
méfaits ressemblait aux délits privés: ils étaient poursuivis
comme ces derniers devant les tribunaux civils, et l'action
pouvait également s'exercer contre les héritiers lorsque la
litis contestatio avait déjà eu lieu . Quand une action populaire
était intentée à la fois par plusieurs personnes, la préférence
était donnée à celui des plaignants qui avait le plus
d'intérêt à la demande, et cette question était tranchée par le
préteur. En règle générale, on ne pouvait pas intenter
une action de cette nature par procureur puisque l'on était
soi-même considéré dans cette circonstance comme représentant
le peuple dans la poursuite de l'instance.
Quant aux cas particuliers d'actions populaires, elles
avaient lieu contre celui qui avait altéré (corruptum) un édit du
préteur rendu public ; contre celui qui en jetant un objet du haut d'une maison,, avait causé la mort d'un homme libre;contre ceux qui.avaient placé ou suspendu en saillie devant
leur habitation des objets dont la chute pouvait occasionner
un dommage; contre ceux qui avaient planté ou bâti dans
l'espace réservé devant les aqueducs. La détérioration
ou l'obstruction des chemins ou places publics étaient également
punies par ces actions; elles atteignaient encore ceux
qui avaient labouré ou altéré les cardines ou decurnani placés
sur les routes, ceux qui se rendaient coupables de quelque
entreprise sur les cours d'eau le long des chemins publics;
qui comblaient les fossés pratiqués pour l'écoulement des
eaux; ceux qui violaient les sépultures, délit qui fut puni
plus tard d'une peine extraordinaire. Il faut rapporter au
même cas le déplacement frauduleux des limites, qui étaient
consacrées par des cérémonies religieuses;une loi de Numa vouait auxDieux la tête de celui qui s'était rendu coupable d'un
semblable attentat. Une loi agraire de Caius César, la
même qui dans le recueil des agrimensores est relatée sous la
rubrique de la loi Mamilia, et dont l'auteur est vraisemblablement Caligula, accordait dans ce cas une action
populaire. Mais depuis Adrien, le même délit fut puni
d'une peine extraordinaire.
Des Délits publics.
A la classe des délits publics appartenaient avant tout ceux contre l'Etat. Dans les temps les plus reculés, alors que le droit pénal fonctionnait sans lois précises, par la seule force de la coutume ou de l'instinct naturel, les Romains prirent soin d'établir une règle d'après laquelle ils pouvaient déclarer coupable de perduellio, l'auteur de tout méfait dont la gravité paraissait appeler la vengeance publique; le coupable considéré comme perturbateur de la paix générale était alors battu de verges et suspendu arbori infelici. On pouvait de cette manière poursuivre suivant les circonstances, un meurtre éclatant (1) la perte d'une armée, la tentative d'usurpation du pouvoir, et l'atteinte portée au respect des tribuns du peuple.
(1) C'est ainsi que fut poursuivi l'assassinat de la soeur d'Horace. Tite- Live 1. 26. Les expressions employées ici démontrent que l'expression perduellio ne désignait pas primitivement un crime contre l'Etat, ni aucune espèce particulière de délits; mais judicare perduellionem alicui, se disait de celui qu'on accusait d'avoir commis une action par laquelle il avait troublé la paix et mérité la mort. C'est faire violence au sens des choses que de s'efforcer de ranger le crime d'Horace parmi les délits publics. Ainsi, Rubino et Kôstlin considèrent l'action du vainqueur d'Albe comme perduellio , parce qu'il avait empiété sur la puissance judiciaire régulièrement organisée; d'autres comme Sigonius et Schweppe, parce que le meurtre avait été commis devant le peuple et le Roi.
Il y eut encore un exemple d'une pareille instance vers les
derniers temps de la République, bien que l'ignominie des
peines corporelles, aussi bien que la mort, fût jugée incompatible
avec les hautes prérogatives du droit de cité.
Indépendamment de cela, les Douze Tables établirent la peine
de mort contre quiconque aurait introduit l'ennemi dans le
pays, ou lui aurait livré des citoyens.
Lorsque grâce aux progrès de l'esprit public, chacun eut
conscience de toute l'étendue de la majesté du peuple
romain, on vit se dégager aussi la notion des délits de lèse-majesté
comprenant tous les faits de nature à amoindrir,
léser ou menacer la dignité, la grandeur ou la puissance de
la République. C'est dans ce sens que furent publiées plusieurs
lois de lèse-majesté, la loi Apuleia, dont la date et la
teneur sont incertaines, la loi Varia, en 664, la loi Cornelia (673), et la loi Julia de César (708) ; l'admission d'une seconde loi Julia d'Auguste repose sur des fondements qui ne
présentent aucune certitude. Cette loi Julia (de César) qui embrassait
un très grand nombre de cas, s'étendait à beaucoup
de circonstances dans lesquelles on aurait jadis intenté
une poursuite pour perduellio; la peine qu'elle prononçait
était l'interdiction du feu et de l'eau. Sous l'empire, la
majesté du peuple romain ayant été transportée au prince,
et s'étant concentrée dans sa personne, on admit naturellement
cette idée que toute attaque contre la propriété, les
droits et la dignité du souverain était un attentat contre
la majesté du peuple; déjà Auguste s'était fondé sur
cette loi pour punir les auteurs de libelles, et depuis
Tibère, l'apparence éloignée d'une atteinte à la vénération
due au prince fut considérée comme un crime de lèse-majesté. Aussi les peines furent-elles arbitrairement aggravées,
mais cela même conduisit à restreindre la notion de ce
crime et à n'y comprendre que les faits et les attentats directement
dirigés contre la paix publique ou la personne de l'empereur. Les autres actions que la loi Julia avait définies
crimes de lèse-majesté, furent encore considérées comme punissables
conformément à cette loi, mais ne furent plus poursuivies
sous cette qualification, ni punies des peines graves
qu'entraînait cette redoutable incrimination. Le crime de
lèse-majesté, dans ce nouveau sens plus restreint, fut aussi nommé perduellio. Dans les derniers temps de l'empire
s'introduisirent encore quelques dispositions plus rigoureuses
; cependant Théodose se montra très indulgent relativement
aux injures verbales, tandis que l'empereur Arcadius
assimila au crime de lèse-majesté même le projet
d'attenter à la vie de certains fonctionnaires d'un rang
élevé; d'autres princes allèrent encore plus loin. Déjà
au troisième siècle la peine était la mort ; on y joignit dès
les premiers empereurs la confiscation générale et la condamnation
de la mémoire à l'exécration publique; bien
plus, les enfants eux-mêmes étaient atteints, ce qui se vit
pour la première fois lors des proscriptions de Sylla: Ce
crime avait encore ceci de particulier que depuis Marc-Aurèle,
non-seulement on continuait la poursuite d'une instance
déjà commencée mais on pouvait même l'intenter pour la
première fois après la mort. Au crime de lèse-majesté
se rattachaient l'organisation d'assemblées nocturnes que les Douze Tables menaçaient de mort,
l'excitation à l'insurrection, la trahison, et la désertion à l'ennemi.
On doit compter aussi parmi les délits intéressant
l'Etat, ceux contre la Religion. Les Romains la considéraient
avant tout comme une chose nationale, aussi conservèrent-ils
ses usages à chaque peuple soumis à leur empire,
tandis qu'ils punissaient comme contraire à l'Etat toute introduction
arbitraire de doctrines ou de cérémonies nouvelles.
Ce point était traité, moins comme une question de droit, que
comme un intérêt de haute administration, et l'on intervint
contre ces actes suivant l'exigence des circonstances par des
édits d'avertissement et de prohibition, ou par des châtiments
allant jusqu'à la mort. Sous les empereurs, on
appliqua en cette matière la déportation, et contre les gens
de condition inférieure le dernier supplice. On punissait
d'une manière analogue la conversion au judaïsme, mais
on procédait beaucoup plus sévèrement contre les disciples
du Christ, puisque d'après les édits promulgués dans tout
l'empire, on devait les contraindre en employant tous les
moyens possibles à offrir des sacrifices aux Dieux de la
patrie. Tel fut le fondement des persécutions exercées
contre les chrétiens dont les Actes encore trop peu étudiés,
présentent le plus grand intérêt tant pour le jurisconsulte (à cause des procès-verbaux judiciaires qu'ils renferment),
que pour l'historien; il y trouverait la représentation vivante
des émotions dont le contraste agitait alors le monde; le
tableau de l'étonnement du Romain en face d'une grandeur
morale que ses préjugés et son matérialisme ne lui permettaient
pas de comprendre; celui du paganisme s'épuisant dans
une rage impuissante, et enfin le magnifique spectacle d'une
puissance nouvelle s'élevant du milieu des supplices et des
cendres du bûcher.
L'homicide volontaire était puni de mort par une
loi de Numa,
il l'était sans doute de la même manière par
la loi des Douze Tables; l'homicide involontaire était
d'après l'ancien droit religieux, et à ce qu'il paraît d'après
les Douze Tables expié par le sacrifice d'un bélier. La loi
fondamentale du droit postérieur fut la loi Cornelia de sicariis et veneficis, qui punissait non-seulement l'homicide volontaire
accompli, mais la tentative de meurtre ou de vol commise
par des gens armés; il en était de même de la préparation
et de la vente de poisons; cette loi punissait aussi d'une
manière analogue comme l'avait fait précédemment une loi Sempronia le fait de celui qui organisaitune accusation capitale en subornant des témoins à prix d'argent; les faux témoins et le magistrat corrompu qui les entendait dans une
pareille instance subissaient le même sort. Plusieurs sénatusconsultes
et constitutions étendirent l'application de cette loi,
notamment à la castration, aussi bien des esclaves que des
hommes libres et aux sacrifices humains. La peine de
la loi Cornelia était l'exil; plus tard on frappa de mort les
gens de basse condition. On ne faisait aucune distinction
entre l'homicide réellement accompli, et le cas où la victime
désignée avait échappé. Le meurtre par colère ou par
négligence était selon les circonstances,puni plus légèrement
ou demeurait tout à fait impuni.
Le droit ultérieur se montra spécialement sévère contre une
forme spéciale de menaces de mort usitée en Arabie sous le
nom de Scopelismus. La loi Cornelia contenait aussi sur le
meurtre de certains proches parents,, des dispositions qui
furent confirmées par la loi Pompeia de parricidiis ; la peine
était la mort, qui pour le meurtre des ascendants avait lieu
dans une forme particulière empruntée aux temps les plus
antiques, forme que Constantin étendit également au
meurtre des enfants. Le droit en usage sous les Rois punit de l'anathème ou de la mort les mauvais traitements exercés
par les enfants sur leurs parents.
La loi des Douze Tables prononçait déjà une peine
contre les incendiaires. Plus tard ce fut la loi Comelia, dont nous avons parlé plus haut, qui entreprit de réprimer ce
crime. Sous l'empire, la peine de l'incendie volontaire fut
communément la mort, et même la peine du feu en cas
de circonstances aggravantes; quant à l'incendie dû à la
simple négligence, il était puni suivant le plus ou moins de
culpabilité de l'accusé.
Les Douze Tables contenaient également des dispositions
contre l'usage dangereux de formules magiques, notamment
celles qu'on employait pour jeter un sort (incantare) sur
les productions de la terre. Un sénatus-consulte fit tomber
sous l'application de la loi Comelia l'emploi frauduleux de
maléfices, ainsi que la pratique et même la connaissance
d'artifices magiques pour ensorceler quelqu'un ou le frapper
de paralysie (defigere). Il faut rapprocher de cette disposition
celle qui punissait les aruspices, les tireurs d'horoscopes, (mathematici), et autres individus exerçant l'art divinatoire.
Les actes de violence furent réprimés par une loi
Plautia ou Plotia rendue sans aucun doute sous l'influence
des désordres violents du septième siècle; elle punissait ceux
qui avaient occupé des places qui ne leur appartenaient point,
et étaient publiquement montrés en armes. Quintus Lutatius
Catulus avait présenté sur le même sujet une loi qui
est vraisemblablement celle-là même que nous venons de
nommer. La loi proposée par Pompée sur les violences,
contenait des dispositions qui restèrent en usage, quoiqu'elle
n'eût été faite qu'en vue d'un procès spécial. Plus tard
furent rendues plusieurs lois Julia sur ce point: l'une d'elles
émanait de Jules César, et prononçait l'exil ; vinrent ensuite,
la loi Julia de vi publica, et la loi Julia de vi privata.
Viennent-elles toutes deux de César, cas auquel elles se confondraient
en une seule, ou n'est-il l'auteur que de la première;
furent-elles toutes les deux, ou au moins la seconde,
rendues par Octave; ce sont là des questions qu'il est impossible
de résoudre. Ce qu'il y a de certain, c'est que les
deux lois sont restées le fondement de la législation postérieure
en cette matière. La peine portée par la première était l'exil, la seconde prononçait
la confiscation d'un tiers du patrimoine du coupable,
peines qui furent plus tard remplacées par des dispositions
plus rigoureuses. Des pénalités spéciales réprimaient deux
cas qui se rapportent à ceux des lois citées plus haut, savoir,
l'attaque d'une maison avec une bande armée, et le rapt
d'une femme ou d'une fille.
L'impudicité fut réprouvée de tous temps par les
coutumes et la Religion. Une loi de Numa défendait notamment
à la femme qui avait eu des rapports notoires avec un homme,
marié ou non, de s'approcher de l'autel de Junon. Plus
tard, la séduction d'une femme ou d'une jeune fille de
moeurs honorables, ou la conduite déréglée d'une matrone, donnaient lieu à une action de la part des édiles;
le plus souvent toutefois, de semblables délits étaient vengés
par le père, le mari ou les plus proches parents. Avec la
décadence des moeurs parurent encore diverses lois sur cette
matière, mais elles sont inconnues et abrogées en partie par la loi Julia de adulteriis proposée par Octave. Cette loi traitait
surtout de l'adultère, c'est-à-dire des rapports criminels
avec une femme mariée. Elle frappait les deux coupables
d'une peine publique, et donnait à chaque citoyen le droit de
se poser en accusateur, sauf cependant certaines restrictions
particulières. La première consistait en ce qu'il n'était plus
possible de former une accusation quand il s'était passé cinq
ans depuis le crime; de plus, ni le mari, ni un tiers ne
pouvaient accuser la femme adultère ou son complice tant que
le mari n'avait pas répudié la coupable. Une accusation
intentée pendant la vie du mari supposait donc la dissolution
du mariage par le divorce dans les cinq ans du crime. C'est
ici que viennent se placer les distinctions. Le premier droit
d'accusation appartenait au mari et au père; ils avaient pour
l'intenter un délai de soixante jours, courant à partir de la
dissolution du mariage. Il était ensuite accordé, mais seulement
jure extranei, un délai de quatre mois à quiconque se
présenterait, et notamment aux deux intéressés que nous
venons de mentionner. La poursuite n'était plus possible
quand on avait laissé s'écouler six mois depuis le divorce, ou
cinq ans depuis le crime. Le mari était-il mort, le droit d'accusation
appartenait au père, ou à tout étranger, à la condition
toutefois qu'on se trouverait dans le terme de six mois
depuis le délit, si bien que dans ce cas, il n'était point question
du long délai de cinq ans dont nous avons parlé. Dioclétien cependant, abolit cette prescription de six mois, de
sorte qu'il ne resta plus que le délai de cinq ans. De son
côté, Constantin limita le droit d'accusation aux parents les
plus proches. On ne pouvait point l'exercer contre les deux
prévenus en même temps, mais seulement l'un après l'autre;
l'accusateur avait généralement le droit de commencer par
celui des deux qu'il lui plaisait de choisir. Si l'adultère
n'était découvert qu'après la mort de la femme, on pouvait
encore intenter une action contre le complice, à la condition
toutefois que cinq années ne se seraient point écoulées depuis
le délit. L'accusation pouvait de même être formée pendant
un second mariage que la femme adultère aurait contracté, seulement, il fallait alors commencer par mettre en
cause le complice, en supposant qu'il vécût encore.
Quant à la femme, elle ne pouvait être poursuivie que lorsque
l'accusation dont on la menaçait lui avait été dénoncée avant
la célébration de son nouveau mariage, mais sous Dioclétien,
toute restriction disparut.
La peine prononcée par la loi Julia était pour les deux
coupables la perte d'une partie de leur patrimoine, avec la
rélégation dans une île ; de plus, on ne pouvait contracter
mariage avec la femme adultère sans encourir les peines
portées contre le lenocinium; plus tard, la peine de mort fut prononcée contre l'adultère. On ne faisait point de différence
sous ce rapport entre l'homme libre et l'esclave.
La loi Julia restreignit dans certaines limites la vengeance
personnelle que l'ancienne législation abandonnait aux parties. Le père conserva cependant le droit de mettre à mort
la coupable, mais seulement dans le cas où il l'aurait surprise
dans sa maison, ou dans celle du mari, et où il aurait frappé
les deux criminels sur place. Le mari ne pouvait en aucun
cas tuer sa femme; quant au complice saisi sur le fait, il ne
pouvait le mettre à mort que quand il faisait partie d'une
certaine classe de personnes désignées par la loi, mais il
pouvait dans tous'les cas le retenir pendant vingt heures dans
sa maison. Toutes ces règles étaient faites pour l'union du
droit des gens comme pour le mariage civil, et elles étaient
applicables non pas seulement à l'épouse mais aussi à la
liancée, et même selon les circonstances à la concubine.
La loi Julia, ne s'occupe point de la violation du contubernium), pas plus que des femmes d'une condition infime ou
d'un genre"de vie peu relevé. Les rapports criminels
d'un homme marié avec une femme non mariée n'étaient jamais qualifiés d'adultère mais de stuprum, et n'étaient punissables
que dans les cas où le stuprum, eût pu être puni.
Les relations coupables entre gens non mariés étaient
aussi frappées d'une peine publique par la loi Julia, mais
seulement quand le délit avait été commis avec une personne
d'une condition honorable, sans distinction entre les ingénus
et les affranchis. La peine était la même que pour
l'adultère, et les dispositions relatives à ce dernier délit
s'appliquaient également au droit d'accusation, au pouvoir
domestique du père, et à la défense de contracter mariage
avec les condamnés pour mauvaises moeurs. Le stuprum consommé à l'aide de séductions accompagnées de ruses
ou accompli avec une jeune fille non encore nubile était
puni d'une peine extraordinaire. De plus, la loi Julia frappait
de la même peine que l'adultère certaines espèces de lenocinium. Celui par exemple qui avait prêté sa maison pour y
accomplir un adultère punissable ou un stuprum, tombait sous
l'application de cette pénalité ainsi que le mari qui avait
retiré quelque profit de l'inconduite de sa femme, ou
s'était montré assez indifférent à son propre honneur pour ne
pas la congédier immédiatement quand il l'avait prise sur le
fait. Un sénatus-consulte infligeait le même châtiment au
mari qui avait lui-même favorisé le séducteur de sa femme. Mais la loi Julia laissait impuni le stuprum qui n'avait point été commis avec une personne d'une condition honorable, par exemple avec une femme d'une classe inférieure,
la concubine d'un autre ou une esclave. Il était
même permis aux personnes d'un rang obscur de se faire un
métier de la prostitution ou du lenocinium ordinaire, sauf la
déclaration qu'elles étaient tenues d'en faire aux édiles.
Aucune peine n'atteignait ce fait qui toutefois entraînait l'infamie. Une pareille déclaration ne protégeait cependant
pas contre les peines prononcées par la loi Julia les femmes
d'une condition élevée, et les empereurs chrétiens s'efforcèrent
d'abolir complétement ce honteux métier.
Les crimes commis entre personnes du même sexe étaient
punis de mort par la sévérité des anciennes coutumes une
loi Scantinia, dont on ne connaît ni la date ni le contenu, s'en
préoccupa aussi. La loi Julia rangeait ces faits parmi les
stupra , mais les constitutions postérieures les frappèrent
de nouveau de mort. Toutes les accusations produites en
vertu de oes lois se prescrivaient par cinq ans.Le stuprum exercé avec violence à l'encontre d'hommes ou de femmes
n'était point du ressort de cette loi Julia, mais tombait sous l'application de la loi de vi publica ; toutefois la peine de
mort ne tarda pas à être appliquée de nouveau aux auteurs
du stuprum exercé contre un homme libre.
La bigamie était considérée comme adultère pour la femme
qui avait contracté un second mariage avant la dissolution du
premier; l'infamie frappait celui qui épousait deux femmes
à la fois, et il pouvait en outre être accusé de stuprum. Enfin une alliance entre parents ou alliés au degré prohibé
n'était point considérée comme mariage, mais comme une
union impie et incestueuse, réprouvée par la nature elle-même
et la morale publique quand elle avait lieu en ligne
directe, et par le droit civil en ligne collatérale. Un inceste
de la première espèce était frappé d'une peine applicable aux
deux coupables ; le second n'était réprimé qu'à l'encontre
de l'homme, et on avait égard aux circonstances qui pouvaient
l'excuser. La peine était celle de la loi Julia contre l'adultère,
c'est-à-dire la relégation dans une île.
Mais sous
Dioclétien, on fut obligé de rappeler d'une manière expresse
le souvenir des prohibitions portées antérieurement; les
peines furent alors pour la plupart fort aggravées, puis adoucies, enfin de nouveau rendues plus sévères par Justinien.
Les mêmes principes firent proscrire le concubinat entre
proches parents ; comme en cas d'adultère ou de stuprum commis par ces mêmes personnes,, il y avait concours de
délits, l'homme était frappé d'une peine plus sévère c'est-à-dire
de la déportation, et la femme encourait pour le
moins les peines de la loi Julia. Il ne pouvait y avoir
d'inceste entre les esclaves, mais après leur affranchissement,
ils étaient mis en jugement selon les principes ordinaires
suivant le degré de parenté qui les unissait pendant leur
servitude. Les rapports criminels avec une vestale étaient
considérés comme incestueux, et on punissait de mort les
deux coupables.
Le même supplice était infligé d'après la loi des Douze
Tables à l'auteur d'un faux témoignage. Il parut une loi Cornelia de Sylla contre la falsification des testaments et de la
monnaie.Une série de sénatus-consultes et de constitutions
impériales étendirent les dispositions de la loi Cornelia à d'autres faits, à celui par exemple de rendre ou de
susciter de faux témoignages, et en général à toute espèce de falsifications directes ou indirectes, notamment à la supposition
de part et à l'usage de faux poids et mesures.
Un éciit de Claude fit tomber sous le coup de la loi Cornelia l'inscription de quelqu'un à son profit dans le testament
d'un autre (adscriptio), fait que le sénatusconsulte Libonien
ne punissait que de la nullité de la disposition, cette
prescription de l'empereur fit naître un grand nombre de
difficultés et de décisions particulières). La peine était
d'ordinaire la déportation avec publication du patrimoine, et
le dernier supplice quand il s'agissait d'esclaves ou de gens
de basse condition. La falsification des monnaies était
punie avec une rigueur particulière. La loi Visellia permettait
de poursuivre criminellement l'usurpation des droits
des ingénus commise par des Latins; enfin, celui qui
s'était parjuré en prenant à témoin le génie du prince
était passible d'un châtiment public; on laissait aux Dieux
la vengeance des parjures commis en leur nom. Arcadius
voulut cependant qu'on punit en les frappant d'infamie les atteintes portées aux conventions contractées sous l'invocation
de Dieu.
Le plagium commis à l'encontre des hommes libres et
des esclaves était frappé par la loi Fabia d'une amende considérable ; plus tard il fut puni extra ordinem d'une peine
rigoureuse et même du dernier supplice. Le péculat, ou
le vol des biens de l'Etat était originairement jugé suivant les
circonstances par le Sénat et le peuple. Plus tard il le fut
par une commission permanente, et tomba par conséquent
sous les prévisions d'une disposition législative spéciale. La dernière
rendue sur cette matière fut une loi Julia ; la peine
était la déportation,, et même la mort quand le coupable était
un fonctionnaire public; dans certains cas cependant, le
plagium n'était puni que d'une indemnité du quadruple.
La loi comprenait aussi dans ses prescriptions le sacrilegium ou le vol des choses consacrées, qui plus tard fut frappé
de peines extraordinaires pouvant s'élever jusqu'à la mort.
Le seul fait de retenir des deniers publics que l'on avait
perçus était frappé par la loi Julia de residuis, d'une amende
du tiers de la somme due. La loi Julia de annona en prononçait une de vingt pièces d'or contre ceux qui employaient
des manoeuvres pour faire hausser le prix des céréales ;
les. Dardanarii ou spéculateurs sur les blés étaient aussi
l'objet de répressions extraordinaires. Enfin, l'usure était
punie au temps des Douze Tables d'une peine pécuniaire du
quadruple. Plusieurs dispositions législatives parurent sur
ce point; la loi Marcia entre autres, appliquait dans ce cas
la legis actio per manus injectionem. Ce délit fut également
poursuivi d'office par les édiles ; Dioclétien prononça l'infamie
contre ses auteurs; cette pénalité fut maintenue par
Justinien qui n'avait point admis la constitution par laquelle
Théodose avait renouvelé pour ce cas la peine du quadruple,
tombée en désuétude.
Les provinciaux n'avaient dans l'origine qu'un recours
au Sénat pour se garantir de la corruption et des concussions
des magistrats; cette assemblée nommait alors une commission
prise dans son sein, et la chargeait de la formation et
de la fixation de l'indemnité. La première loi rendue à ce
sujet fut la loi Calpurnia de L. Piso Frugi qui établit une
commission permanente et renouvelable chaque année au sein
du Sénat, pour juger à la place du peuple. On ne peut
soutenir en s'appuyant sur des fondements certains, que cette loi n'ait autorisé que les pérégrins à former l'accusation. Vint
ensuite la loi Junia; les deux lois établirent la legis actio
sacramento pour la demande en restitution; quelle en était
la procédure et le but; s'appliquait-elle aux citoyens seulement
ou également aux pérégrins ; c'est ce que l'on ne saurait
dire avec certitude. Mentionnons encore une loi Acilia dont on ne connaît qu'une seule disposition relative à la
procédure ; puis, entre les années 648 et 654, la loi du
tribun C. Servilius Glaucia, qui changea la procédure établie par la loi Acilia, mais laissa subsister l'accusation
formée en vertu de la loi Calpurnia et de la loi Junia. Cette
loi Servilia transporta aussi, paraîtrait-il, à l'un des quatre
préteurs que désignait le sort, la présidence de la commission
permanente, laquelle avait jusqu'alors appartenu au préteur
chargé de la juridiction sur les pérégrins. Parut ensuite la
loi Cornelia de Sylla, et la loi si détaillée dite Julia de
César, dont les dispositions demeurèrent fondamentales
jusqu'aux temps les plus reculés. Le tribunal n'avait à se
prononcer en premier lieu que sur la culpabilité de l'accusé;
les mêmes juges procédaient ensuite à la litis aestimatio qui
selon les cas pouvait toucher au caput, ou avoir pour résultat
l'exil, mais qui habituellementne tendait qu'à une indemnité, d'abord au simple, puis au double d'après la loi
Servilia, enfin au quadruple selon la loi Cornelia, la
loi Julia y joignit cependant des peines infamantes. Plus
tard ces délits furent punis extra ordinem, et habituellement
de l'exi. L'accusation pouvait s'intenter même après la
mort du prévenu, comme dans les cas de lèse-majesté; elle pouvait aussi être dirigée contre les tiers quand l'instruction
sur la litis aestimatio prouvait que des valeurs extorquées
leur étaient parvenues. A cette même classe de délits
appartenait aussi le crime d'un juge qui s'était laissé corrompre, fait que la loi des Douze Tables avait puni de
mort.
On recourut de bonne heure à des lois et à des
pénalités rigoureuses pour réprimer l'arnbitus, c'est-à-dire
l'emploi de moyens illicites pour obtenir les charges publiques.
Une loi Cornelia, vraisemblablement du consul Cn. Cornelius
Dolabella, punit ce crime en déclarant son auteur incapable
d'exercer aucune magistrature pendant dix ans. Dans la
première moitié du septième siècle, on établit aussi à ce sujet
une quaestio permanente. En l'année 687,
et non sans de
grands efforts, le Sénat avait fait rendre la loi Calpurnia qui
prononçait une incapacité perpétuelle de faire partie de cette
assemblée ou d'exercerles fonctions de magistrat; cette même
loi y adjoignit en outre une peine pécuniaire à laquelle la
loi Tullia de Cicéron ajouta dix ans d'exil. Vint ensuite, en 693, la rogation du tribun Aufidius Lurco, qui
toutefois ne passa point, et la loi Licinia de sodaliciis qui
établit en 699 une quaestio spéciale pour cette espèce d'arnbitus. Citons encore la loi Pompeia de 702 et enfin la
loi Julia d'Auguste. Des récompenses spéciales étaient
assurées à l'accusateur qui triomphait dans sa demande; il
entrait dans la tribu du condamné quand il y trouvait avantage, et si lui-même avait été antérieurement condamné pour
le même délit, il était restitué contre les conséquences de la
peine. Sous les empereurs, alors que le prince distribuait
lui-même les magistratures, la loi Julia conserva son application
dans une sphère beaucoup plus, restreinte pour les
fonctions municipales, cependant elle servit toujours de
titre pour la répression de certaines irrégularités commises
par les candidats dans la brigue des fonctions publiques.
En traitant des délits ordinaires, nous avons déjà
mentionné en partie les délits extraordinaires avec lesquels
ils ont de l'analogie. Nous avons cependant à signaler encore
les suivants:
Les voleurs de grands chemins et les bandits étaient punis
très cruellement et sur-le-champ, dans l'intérêt de la paix
publique; leurs recéleurs étaient traités de la même
manière. Les malfaiteurs évadés des prisons ou des lieux
qui leur avaient été assignés, voyaient leur peine s'élever d'un degré, et par là pouvaient même être mis à mort. Un
grand nombre de sénatus-consultes, d'édits et de prescriptions
impériales (mandata), condamnèrent l'affiliation ou
la participation à des associations non légalement autorisées,
et assimilèrent ce délit aux crimes contre l'Etat.
On doit ranger au nombre des délits extraordinaires:
La concussio ou l'extorsion accompagnée de manoeuvres tendant
à faire croire à une autorité chimérique ; les infidélités
commises par les avocats envers leurs clients, et aussi plus
tard celles des accusateurs dans un procès criminel; les
dénonciations intéressées au fisc ; les détériorations volontaires
causées aux conduits ou citernes publiques, et en
Egypte aux digues du Nil; l'avortemen, le fait de faire
boire un philtre à quelqu'un. Il faut encore.placer dans
la même catégorie les jongleurs qui se livraient à des jeux
défendus et jouaient avec des serpents.Enfin, on pouvait
poursuivre extraordinairement comme coupables de stellionnat
tous ceux qui employaient dans un but intéressé des manoeuvres frauduleuses qui ne tombaient point sous une
qualification spéciale de délits.
A côté des délits communs, il faut mentionner et
distinguer les délits spéciaux des militaires. C'étaient: la
trahison et le passage à l'ennemi, la désertion ou l'éloignement
du corps sans permission, l'abandon du poste
par celui qui est de garde ou de piquet; le fait de ceux
qui prenaient la fuite et jetaient leurs armes pendant le
combat, ou qui délaissaient un chef sans le défendre.
l'excitation à la révolte, l'insoumission, et la résistance
aux officiers; la vente des armes ou des effets d'équipement; une blessure faite à un compagnon d'armes ;
le vol d'armes ou celui qui est opéré dans les camps; le
fait de pénétrer dans le camp par-dessus les retranchements,
ou d'en sauter les fossés; la tentative de suicide. Les
peines étaient diverses, mais en général très sévères.
En ce qui concerne les délits des esclaves, il faut
convenir que l'arbitraire était grand jusqu'en 773, époque où fut rendu un sénatus-consulte qui fit dominer dans cette
matière les principes du droit commun, sauf toutefois
certaines prescriptions particulières. L'esclave pris en flagrant
délit de vol manifeste était, d'après la loi des Douze Tables
battu de verges et mis à mort; mais l'édit du préteur vint
également remplacer cette peine par l'indemnité ordinaire du
quadruple. En outre, les esclaves furent, comme on va le
voir, rendus responsables de la mort de leur maître, à tel point
que lors du meurtre de leur patron, et d'après un sénatus-consulte
Silanien (763) fortifié de plusieurs dispositions tirées
de la loi Cornelia de sicariis, on mettait à mort en même
temps, pour ne l'avoir point défendu, tous ceux qui s'étaient
trouvés sous le même toit que le maître, non sans les avoir
mis à la torture pour leur arracher des aveux sur l'auteur et
les instigateurs du crime. On ne pouvait, sous peine de
voir l'hérédité passer à l'Etat, ni ouvrir le testament laissé
par le défunt, ni faire adition d'hérédité avant que cette loi
n'eût été exécutée. Ces prescriptions furent encore complétées
peu de temps après par un sénatus-consulte de l'an
764, et un sénatus-consulte Néronien, Claudien ou Pisonien, enfin par le préteur qui pour prévenir l'ouverture
anticipée du testament, attachait à ce fait une action criminelle
tendant à une peine pécuniaire.
Des Peines.
Les peines prescrites par les anciennes lois étaient au
nombre de huit. L'amende, la prison, le bâton, la peine du
talion, la perte de l'honneur, l'exil, l'esclavage et la mort.
Sous les empereurs, on en adjoignit d'autres espèces qui
donnèrent lieu à plusieurs classifications. Il faut en premier
lieu distinguer les peines qui frappent le patrimoine ou les
amendes, des peines proprement dites. La différence consiste
en ce que les dernières ont pour conséquence une atteinte à
l'honneur tandis que les autres le laissent intact. On distingue
ensuite parmi les peines proprement dites, les peines
capitales qui font perdre au coupable la vie, la liberté, ou le
droit de cité, de celles qui n'entraînent pas ces conséquences. On peut enfin classer les peines d'après leur sévérité
en distinguant les plus fortes de celles qui le sont moins,
et des plus légères.
Il y avait jadis une grande différence entre les citoyens
romains et les autres sujets relativement à l'application de
ces pénalités. Plus tard cette distinction fut en quelque
sorte remplacée par celle qu'on établit entre les gens d'une
condition commune et ceux d'un rang plus élevé, notamment les décurions dont les priviléges étaient au reste partagés
par les vétérans. Dès les temps les plus reculés, les
esclaves furent punis avec une plus grande rigueur; plus tard
cependant, ils furent en général assimilés aux gens de basse
condition ; toutefois certaines peines ne leur furent naturellement
jamais applicables, par exemple les adjudications
pécuniaires et la relégation. L'esclave qui avait obtenu la
liberté sous condition était d'abord considéré comme esclave
sous le rapport de la peine ; plus tard il fut traité comme
homme libre.
Les peines pécuniaires étaient de deux sortes: mentionnons
d'abord les amendes (mulctae) qui étaient prononcées
par les magistrats en vertu de leur juridiction et de l'imperimn qui leur appartenaient. Le maximum en avait été fixé à deux
brebis et cinq boeufs par la loi Valeria, (l'an de Rome 245); il
fut étendu par la loi Atemia à deux brebis et trente boeufs.
Quant à la mesure de la peine prononcée contre ceux qui lui
résistaient, le magistrat procédait de manière à commencer
par une seule tête de bétail, en augmentant toujours d'une
unité (1).
(1) Pline, Hist. nat. XVIII-. 3., Aulu-Gelle. XI. 1., Varron, de ling. lat. V. 177. Schwegler explique ces passages de la même manière. Mommsen pense au contraire que deux moutons constituaient la suprerna muleta pour le petit cultivateur, trente boeufs pour le riche possesseur de troupeaux. Lange établit cette proportion de la manière suivante: deux moutons pour le maximum des petits délits, trente boeufs pour les plus graves. Eisenlohr rejette avec raison cette interprétation mais l'auteur pense que le magistrat n'était point astreint à monter graduellement échelon par échelon, mais qu'il aurait pu prononcer dès l'abord une peine élevée.
L'usage d'exiger les amendes en nature persista longtemps; mais le payement s'effectua en argent à partir
de la loi Papiria (an 324 de Rome); on estima alors une
proportion fut naturellement différente. Les autres peines
pécuniaires furent les amendes considérables que prononçait
le peuple sur la proposition d'un magistrat; leur quotité était
déterminée par une loi, ou laissée à l'arbitraire de celui
qui faisait la rogatio au peuple; il était cependant d'usage en
pareil cas de ne pas pousser la condamnation à une somme
excédant la moitié du patrimoine. Au reste, les tribunaux
criminels ordinaires prononçaient aussi des adjudications
pécuniaires qui étaient alors de véritables peines. Pour les
indigents, l'amende était remplacée par la prison; on leur
infligeait même des châtiments corporels. Il en était notamment
ainsi des esclaves.
Parmi les peines capitales, il faut mettre au premier
rang la mort dont l'application aux citoyens fut cependant
très restreinte sous la République par les lois Porciae. La
forme la plus ancienne de cette peine était le supplice de la
furca, morceau de bois fourchu dans lequel on plaçait le cou du condamné qui était ensuite fouetté jusqu'à la mort. On
employait aussi la décapitation originairement par la hache puis sous les empereurs par le glaive, genre de supplice
considéré comme le moins cruel. Il faut citer encore:
la précipitation du haut d'un rocher, et la strangulation
dans la prison, toutes deux défendues plus tard, le
bûcher; la croix, supplice interdit par Constantin et
remplacé par le gibet appelé furca dans le nouveau droit.
On n'enterrait, vivant que les vestales qui avaient enfreint leur
voeu de virginité. Il répugnait du reste vivement aux moeurs
publiques de livrer au bourreau une femme encore vierge; on
y arriva plus tard en employant un exécrable détour. L'empereur
seul pouvait donner au coupable le choix de son
supplice. On assimilait, suivant les cas, à la peine de mort
la condamnation aux jeux des gladiateurs, peine qui disparut
sous Constantin en même temps qu'eux, et la damnaio ad bestias. Ce dernier supplice n'était pourtant point appliqué aux citoyens romains, et ne le fut généralement
dans la suite qu'aux gens de basse condition. Celui qui
échappait aux bêtes était achevé dans le Spoliarium.
Une autre peine capitale était la réduction en esclavage.
Elle était rarement prononcée dans l'ancien droit;
plus tard, parut la condamnation aux mines sous une forme
double mais dont l'une différait peu de l'autre au point de
vue du droit; on distinguait en effet les condamnés employés
à l'exploitation même de la mine (in metallum), de ceux que
l'on assujettissait à des travaux qui y avaient rapport (in opus
metalli): les uns et les autres étaient au besoin envoyés
dans une province étrangère. Cette peine était d'ordinaire
perpétuelle, mais on ne la prononçait guère que contre les
esclaves ou les gens de basse classe; les femmes n'étaient
généralement employées que comme aides-mineurs (in ministerium
metallicorum). Il faut encore rapporter à cette
catégorie la condamnation aux jeux soit du combat soit de la
chasse. Les condamnés aux jeux ou aux mines étaient aussi
marqués à la face avec un fer brûlant, mais Constantin modéra
cette peine. Tous ces châtiments privatifs de la vie ou de la
liberté entraînaient la servitude à partir de la sentence; les
condamnés devenaient esclaves non de l'empereur, mais de la
peine elle-même. Un esclave frappé d'une de ces manières n'appartenait dès lors plus à son maître. Ceux qui
n'avaient été condamnés qu'aux jeux du cirque pouvaient
recouvrer la liberté après un certain laps de temps.
L'ancien droit ne connaissait point les peines capitales
qui ne privaient le coupable que du droit de cité, en lui laissant
la liberté. On voyait il est vrai tous les jours des prévenus
se condamner eux-mêmes à l'exil pour se soustraire à
la honte d'une accusation ou d'une peine sévère; mais cela
ne les garantissait pas complétement d'une réclamation en
extradition; d'un autre côté, le lieu vers lequel se dirigeaient
ces exilés volontaires ne pouvait être indifférent à la sûreté de
l'Etat. C'est pourquoi ce genre de bannissement était toujours
suivi d'un plébiscite qui reconnaissait l'exil en le validant,
et avait en outre pour effet de rendre impossible le retour du
banni auquel on interdisait un abri, ainsi que le feu et l'eau. Les lois Porciennes et d'autres encore rendirent général
le jus exilandi; elles indiquaient en même temps les villes
dans lesquelles les exilés auraient le droit de résider, et
des traités leur assuraient ce qui était nécessaire à l'existence. A côté de ces expatriations volontaires vinrent se
placer, déjà du temps de la République, des décrets d'exil
rendus par le peuple à titre de peine, avec interdiction du feu et de l'eau. Les empereurs y joignaient fréquemment
l'assignation de domicile dans une île désignée. L'exil ou
l'interdiction de l'ancien droit, ainsi que la déportation furent
donc maintenues simultanément comme étant des pénalités à
peu près de la même nature. La déportation était cependant
d'un usage plus fréquent; les deux peines entraînaient
la perte de la cité, et par conséquent du droit de recueillir
ou de transmettre une succession, car le déporté était
considéré comme mort au point de vue du droit civil. Au
reste, la peine de la déportation ne pouvait être prononcée
que par les préfets du prétoire, par leurs remplaçants provisoires
et le préfet de la ville; les gouverneurs de provinces
devaient prendre à cet égard les ordres de l'empereur.
Une autre peine entraînant la perte de la cité était la condamnation
aux travaux publics à perpétuité (inopuspublicum)); elle n'était du reste prononcée ni contre les personnes
d'une condition élevée, ni contre les esclaves.
Sous l'empire de l'ancien droit sacré, les peines capitales étaient accompagnées de la confiscation des biens au
profit de l'Etat. Déjà du temps de la République, l'exil entraînait
ordinairement la publication du patrimoine. Sous les
empereurs, la confiscation était même attachée non-seulement
à toutes les peines privatives de la vie ou de la liberté,
mais aussi à l'exil et à la déportation et vraisemblablement
aux travaux forcés à perpétuité. Cependant, quand le
condamné avait des enfants, on leur laissait régulièrement la
moitié du patrimoine de leur père. Depuis Théodose II, les
présidents des provinces durent consulter l'empereur au sujet
de chaque confiscation, et Justinien voulut que cette peine
ne fût pas appliquée (le crime de lèse-majesté excepté) toutes
les fois qu'il existait des descendants ou ascendants jusqu'au
troisième degré.
La dévolution des biens au fisc supposait toujours une condamnation
irrévocable; aussi, quand l'accusé décédait pendant
le procès, ou même, après la condamnation, mais pendant
le délai d'appel, ses biens appartenaient aux héritiers, lesquels étaient cependant tenus, dans ce dernier cas, de poursuivre
l'appel jusqu'à la fin de l'instance. Le condamné
ne pouvait point détourner la confiscation par le suicide; et les
crimes de lèse-majesté ou de concussion pouvaient donner
lieu à des accusations et à la confiscation, même après la mort
de l'accusé.
Les peines non capitales atteignaient soit le corps soit
la liberté, soit seulement l'honneur civique. A la première
catégorie appartenait la peine du talion tant qu'elle subsista. A part cette dernière pénalité, les amputations ou
mutilations de membres étaient peu fréquentes même dans
le nouveau droit, et Justinien les rendit plus rares encore).
On employait aussi diverses espèces de châtiments corporels
sous la République; on ne pouvait, il est vrai, battre de
verges un citoyen romain mais il n'était pas interdit de
lui infliger d'autres coups (verbera), comme le démontrent
plusieurs lois rendues sur cette matière. Au temps de
l'Empire, les gens de basse condition pouvaient seuls être
battus de verge ; on employait le bâton contre les hommes
libres; la peine plus humiliante du fouet était réservée aux
esclaves. Il faut mentionner de plus, la condamnation à
temps aux mines comme aide-mineur, ou la peine des travaux publics. Les peines non capitales privatives de la
liberté étaient l'emprisonnement et la relégation.
La première s'exécutait soit en détenant purement et simplement
le condamné, soit en le chargeant d'entraves.
L'emprisonnement pouvait durer pendant toute la vie du
condamné cependant on défendit plus tard aux gouverneurs
des provinces de prononcer une détention perpétuelle
contre les hommes libres. Quant aux esclaves, ils pouvaient
être condamnés aux fers aussi bien à perpétuité qu'à temps,
à la condition d'être dans ce dernier cas rendus à leur
maître, après l'expiration de la peine.
La relégation consistait soit dans l'interdiction d'une résidence
déterminée, soit dans l'assignation d'un lieu désigné
pour domicile; dans les deux cas, la peine pouvait être
perpétuelle ou temporaire. La relégation était déjà connue
du temps de la République; elle n'entraînait point la
perte des droits civiques ni aucune diminution de patrimoine,
à moins de dispositions spéciales à cet égard ;
même dans ce cas, une confiscation des biens ne pouvait
atteindre que le condamné à la relégation perpétuelle.
Peine qui en effet était fréquemment accompagnée de la privation
d'au moins une partie du patrimoine. C'est là ce qui distinguait essentiellement la relégalion de l'exil proprement
dit; cependant, plus tard, le mot exil fut employé
dans une acception plus étendue qui comprenait aussi la relégation (1).
(1) On employait fréquemment la relegalio à la place de l'exil proprement dit.
La forme la plus douce de cette peine consistait à
garder les arrêts à la maison.
La plus sévère des peines qui atteignaient le condamné
dans son honneur, était celle en vertu de laquelle il
était déclaré légalement improbus et intestabilis, et dès lors
incapable de presque toutes les relations juridiques. L'infamie
avait quelque chose de moins sévère ; elle atteignait
cependant une portion du caput en excluant le coupable
de la tribu
,
des comices, des magistratures et autres
charges civiques importantes; aussi l'infamie ne pouvait
être encourue que par les hommçs. Il n'en fut plus ainsi lorsque la loi Julia eut restreint la capacité de contracter
mariage à cause de la conduite scandaleuse de certaines
femmes, et que la jurisprudence les eût fait entrer dans la
catégorie des infames. Il y eut donc dans certains cas des
femmes atteintes par l'infamie, et dès lors l'édit se compléta
de ces nouvelles prescriptions. Sous le droit de Justinien,
ces restrictions furent totalement enlevées ; cependant la
possibilité de noter les femmes d'infamie continua de subsister,
mais en principe seulement, et sans application légale;
voilà pourquoi bien des textes qui se rapportaient à ce sujet
ont été admis dans les recueils de Justinien (1)
(1) Les dispositions nouvelles concernant l'infamie appliquée aux femmes auront sans doute été de nouveau effacées des Pandectes dans les passages les plus importants de l'édit qui y avaient été introduits. Cela s'explique facilement par cette circonstance que si ce titre des Pandectes traite de l'infamie, c'est uniquement à cause de son rapport avec la Postulatio dont il ne pouvait être question pour les femmes.
. Au reste, la
peine de l'infamie (sans parler des cas que nous avons déjà
eu l'occasion de faire connaître) se présentait comme un
accessoire de la condamnation dans tous les judicia publica. Il en était ainsi de certains délits privés; que la poursuite
ait eu lieu, soit sur une action privée, soit par accusation criminelle extraordiinaire; enfin, il en fut de même de
certaines actions civiles. Le juge ne pouvait rien changer
à ces prescriptions de la loi) ; cependant, quand une peine
trop forte avait été illégalement prononcée, on compensait
cette erreur en n'imposant pas l'infamie au condamné. Il
y avait encore d'autres pénalités attaquant l'honneur des
coupables; c'étaient: l'expulsion du Sénat ou de la curie à
temps ou à perpétuité, l'exclusion de toutes ou de certaines
fonctions honorifiques, l'interdiction d'exercer une
profession ou un métier pendant un certain temps, ou pour la
vie entière.
On refusait toute sépulture d'après le droit pontifical à ceux
qui s'étaient suicidés .par strangulation; cette sanction
fut plus tard étendue, à d'autres manières de s'arracher la
vie. On ne portait pas non plus le deuil de ceux que les
remords de la conscience avaient conduits au suicide.
L'usage de s'adresser au Sénat ou au prince pour éviter la peine qui frappait le suicide, en obtenant la permission de
s'ôter la vie, vient des Grecs et non des Romains.
Les militaires étaient frappés de peines spéciales; ils
étaient condamnés à périr par le bâton sous les coups de leurs
compagnons); ils étaient encore: décimés, vendus
comme esclaves, congédiés ignominieusement, dégradés,
incorporés dans une troupe inférieure, employés
à des fonctions communes ou viles, frappés d'une diminution de solde, condamnés à l'amende avec saisie d'un
gage, soumis aux verges ou au bâton, à la saignée, à des entraves corporelles, à une mauvaise alimentation, forcés de camper hors des retranchements et
à faire route avec les bagages. Il était défendu de faire
subir aux soldats une mort ou des supplices ignominieux ;
de même, la condamnation à mort prononcée pour un délit
militaire n'entraînait point la confiscation du patrimoine acquis
au service.
Des Juridictions.
Dans les premiers temps de Rome, le droit de punir
les citoyens dans leur corps, leur vie et leurs biens était un des
attributs de la toute puissance attachée à la dignité royale.
L'exercice de ce droit était réglé par la coutume, et les lois
n'y apportaient que peu de restrictions. Le Roi jugeait lui-même
avec l'assistance d'un conseil les crimes les plus graves;
il abandonnait les délits moins importants au jugement de
quelques sénateur. Les décisions du Roi n'admettaient
point la provocatio. Il pouvait aussi en cas de crimes graves
dont l'auteur avait troublé la paix publique, et s'était pour
ainsi dire jeté au-devant de la mort comme un ennemi, déléguer
en qualité de juges des duoviri perduellionis choisis sur sa
proposition par les comices-curies, mais dont la sentence était
susceptible d'appel devant les comices. Les deux quaestores
parricidii étaient chargés de la recherche et de la poursuite
du crime.
Après l'abolition de la royauté, la puissance répressive
vint se placer avec toute sa plénitude sur la tête des consuls;
mais le génie de la liberté naissante ne tarda pas à en limiter
essentiellement les effets. La loi Valeria (215) commença par attribuer au jugement des comices-curies les affaires capitales
des citoyens romains; elles furent ensuite déférées aux
comices-centuries par la loi des Douze Tables, et cette situation
renouvelée par une loi Sempronia resta la même jusqu'aux
derniers temps de la République. De plus, les tribuns
avaient conquis le droit de porter des accusations devant les
comices-tribus, et d'y présenter des motions tendant à des
peines pécuniaires. C'est de cette manière que le peuple
hérita de la puissance judiciaire criminelle. Il n'intervint
cependant pas toujours lui-même dans ces débats, mais
abandonna souvent à un ou plusieurs commissaires (inquisitores), ou même au Sénat, l'information et le jugement des
affaires. Toutefois, à côté de ces nouvelles institutions, se
maintenait dans sa forme antique le Perduellionis judicium;
il avait lieu en principe devant les comices-curies, puis après
leur chute, devant les comices-centuries ; on voit même à
la fin de la République un exemple d'un jugement semblable
rendu par des duumvirs élus à cet effet. Mais avec le peuple intervenait le Sénat auquel appartenait
aussi la connaissance des délits, surtout lorsqu'ils se
rapportaient à l'administration supérieure. Il déterminait la
conduite à suivre et les peines à appliquer aux colonies révoltées
et aux villes insurgées; il statuait dans les cas où il
le croyait nécessaire pour assurer la paix du pays et l'autorité
de la loi, sur les crimes les plus graves commis en Italie; il poursuivait aussi dans Rome même, et contre des citoyens
romains, les délits qui par leur nombre, leur nouveauté ou
leurs ramifications, troublaient la République; il recevait
les plaintes des alliés et des provinciaux sur les exactions de
leurs magistrats. Dans ces divers cas, alors que le Sénat
de son plein droit, ou comme nous l'avons dit plus haut, par
délégation du peuple, entreprenait la poursuite ou la punition
d'un délit, il agissait parfois par lui-même; mais la plupart
du temps en commettant des inquisitores qui étaient ordinairement
les consuls ou un préteur. Une commission de ce
genre devait toujours être autorisée par le peuple quand il s'agissait
d'affaires capitales concernant les citoyens romains. Si cependant la patrie était en danger, et le crime avoué
ou évident, le Sénat ordonnait sans autre formalité la poursuite
ou l'exécution.
Les magistrats possédaient du reste aussi une certaine
juridiction pénale. Le droit de prononcer des amendes fut, il
est vrai, restreint dans une certaine mesure par les lois
Valeria et Aternia; il est vrai aussi qu'à diverses
reprises des dispositions législatives assurèrent la provocatio devant le peuple contre les décisions qui prononçaient la
peine capitale, celle des coups, ou des amendes excessives ; mais les consuls, les préteurs, et tous les magistrats qui
avaient l'imperium, conservèrent le droit de prononcer des peines corporelles modérées, d'envoyer les coupables en
prison, et d'infliger des amendes dans la mesure légale;
ils employaient aussi leur pouvoir à la punition des délits peu
importants. Bien plus, les consuls avaient une puissance
illimitée sur ceux qui n'étaient pas citoyens romains; ils
l'exercèrent même contre les citoyens dans le cas où le
délit était flagrant, et prirent dans certaines circonstances
extraordinaires les décisions les plus énergiques, non pas il
est vrai sans s'exposer à une périlleuse responsabilité.
Il y avait à côté de cela plusieurs autres juridictions
pénales particulières, et en premier lieu l'autorité toute spirituelle
du Pontifex maximus; plus tard le prince l'exerça
comme toutes les autres en même temps qu'il s'attribua le pouvoir
pontifical; mais quand cette souveraineté spirituelle fut
répudiée par les empereurs chrétiens, la juridiction qu'elle
renfermait passa au collége des pontifes qui pour l'exécution
de la peine de mort en référa au préfet de la ville, ou hors de
Rome, au gouverneur de la province.
Le commandant d'une armée avait sur les soldats une autorité
illimitée ; le conseil de guerre était présidé par un des
tribuns militaires qui prenait en considération les registres
des punitions qui étaient tenus avec beaucoup d'exactitude.
Les triumviri capitales avaient sur les esclaves et les gens
de basse condition une autorité de répression d'une grande énergie. Enfin il faut tenir compte de l'ancien tribunal
domestique et de famille, comme d'un complément très actif
de la puissance pénale publique.
Il est difficile de dire d'une manière précise comment
était organisée l'administration de la justice pénale hors de
Rome. Ce qu'il y a de certain, c'est que les magistrats des
cités avaient une juridiction pénale dans les municipes et les
colonies, mais les affaires capitales devaient être jugées
par les autorités judiciaires de Rome. Dans les provinces,
les gouverneurs avaient été revêtus par le peuple de
la plénitude de la juridiction pénale, qui du reste appartenait
aussi aux villes dans une certaine mesure, et dans des
cas qui ne sont pas bien déterminés.
Des Commissions permanentes. (Quaestiones perpetuae).
L'usage qu'avait le peuple de nommer fréquemment
des commissions pour le jugement d'un crime qui venait de
se commettre, conduisit de lui-même, quand les méfaits se
multiplièrent, à l'idée d'instituer annuellement, pour les délits
les plus graves ou les plus fréquents,, des commissions permanentes
semblables, dont le personnel se renouvelait chaque
année. On donna pour cette raison le nom de quaestiones perpetuae à ce genre de commissions, bien qu'elles ne fussent
instituées que pour une année. La première fut établie par la
loi Calpumia, due au tribun L. Piso Frugi (605), contre les
concussions des magistrats, et fut suivie de plusieurs autres
instituées peu à peu et pour d'autres délits. Sylla notamment,
réorganisa ou établit pendant sa dictature (en 673), soit
les quaestiones perpetuae qui existaient déjà, soit de nouvelles
commissions pour la répression des crimes d'empoisonnement,
de faux, d'homicide, et plusieurs autres. Dans les derniers temps de la République, on trouve des exemples de
commissions permanentes spécialement établies pour les crimes
d'empoisonnement, d'homicide, de concussion, de péculat, et aussi pour ceux de lèse-majesté, de violences et les
faits punis par la loi de Sodalitiis. Cependant une affaire pouvait
encore être soumise aux comices, quand il n'existait pas de
commission pour le cas dont il s'agissait. Le peuple et le Sénat
pouvaient même, selon les circonstances, établir une
nouvelle quaestio à côté d'une commission déjà organisée ; c'était ce que l'on appelait alors, extra ordinem quaerere.
La composition des commissions et la procédure à
suivre pour chacune d'elles étaient généralement déterminées
avec soin par les lois qui les établissaient. Cependant plusieurs
de ces lois avaient une portée plus générale. Le
quaesitor ou président d'une commission était souvent un des
préteurs comme au temps des commissions temporaires.
Cela fit augmenter le nombre de ces magistrats en même
temps que celui des quaestiones; mais comme cette mesure ne
suffisait pas encore, on choisit de plus pour ces commissions
des présidents spéciaux nommés judices quaestionum. Après leur élection, les préteurs et les judices quaestionum se partageaient
les commissions par la voie du sort. On pouvait
cependant réunir deux quaestiones sous le même président,
ou répartir entre plusieurs quaesitores des crimes prévus par
la même loi
ou enfin en désigner plusieurs pour des délits
de la même nature. On donnait ensuite à chaque commission
un nombre déterminé de jurés qui furent d'abord choisis
exclusivement parmi les sénateurs, comme au temps des commissions
temporaires, et plus tard, dans les classes désignées
à cet effet.
Voici ce que l'on sait sur la manière dont les choses se
passaient. Quatre cent cinquante jurés furent désignés pour la
quaestio repetundarum ou de concussion; ils étaient choisis
tous les ans par le Praetor peregrinus qui rendait leur nomination publique en faisant inscrire leurs noms en lettres
noires sur la surface blanche de l'album. Au temps de
Sylla, où les jures étaient de nouveau pris exclusivement
parmi les sénateurs, cette inscription spéciale devint inutile. Après Sylla, le préteur urbain composait annuellement
une liste de jurés pris parmi les trois ordres qui jouissaient
alors de ce privilége, et c'était parmi ces jurés désignés,
que les questeurs de l'Aerarium tiraient au sort ceux qui
devaient être répartis dans les différentes commissions. Il
n'y a rien de certain sur le nombre de citoyens qui composaient
cette liste. Les jurés choisis s'appelaient simplement
judices selecti, et leurs noms étaient, selon l'ancienne coutume,
inscrits sur un album.
Le choix des jurés pour chaque judicium se faisait de
la manière suivante: d'après la loi Servilia repetnndarum,
l'accusateur nommait cent jurés parmi les quatre cent cinquante
citoyens désignés pour cette commission; l'accusé en
choisissait un nombre égal, et c'était sur ces deux nombres
de cent jurés que chacune des parties en désignait cinquante,
l'accusé choisissant sur les cent qui avaient été pris par l'accusateur,
et celui-ci sur ceux de l'adversaire.
D'après les lois de Sylla, sous l'empire desquelles les juges
étaient pris uniquement parmi les sénateurs, le préteur désignait
pour chaque judicium une décurie du Sénat indiquée
par la voie du sort. La loi Cornelia permettait aux parties de récuser trois juges et même davantage quand les intéressés
étaient membres du Sénat, et alors il fallait procéder
à un tirage supplémentaire dans une autre décurie.
Plus tard, le nombre de jurés nécessaire pour chaque judicium fut tiré au sort par le préteur ou le judex quaestionis parmi les judices composant la liste de la quaestio Les deux
parties avaient le droit d'exercer des récusations sur les jurés
qu'ils ne voulaient point accepter, et alors il y avait lieu de
procéder à une subsortitio, c'est-à-dire à un tirage complémentaire
dans lequel le sort intervenait également. D'après la
loi Vatinia (694), l'accusé pouvait, après que l'accusateur avait
opéré ses récusations, rejeter lui-même tout le reste du consilium,
et vice versa, si bien qu'on était obligé de tirer au
sort un conseil tout nouveau.
La procédure instituée par la loi Licinia de Sodalitiis (699)
avait quelque chose de particulier en ce que l'accusateur,
après avoir désigné quatre tribus, et subi de la part de
l'accusé la récusation de l'une d'elles, choisissait seul les jurés parmi les trois autres. Enfin, d'après les deux lois
de Pompée (702) on tira au sort quatre-vingt-un noms parmi
les trois cent soixante jurés qui furent choisie cette fois dans
les trois classes privilégiées par le consul tout seul, à défaut
d'autres magistrats ; les deux parties en rejetèrent immédiatement
cinq de chaque classe avant le vote, de sorte qu'il
n'en resta plus que cinquante et un.
Les jurés choisis devaient prêter serment de remplir de
leur mieux leurs fonction judiciaires au procès: il en était
de même du judex quæstionis; mais le préteur n'y était pas
tenu, car il était déjà lié par le serment prêté en entrant en
charge. Là dessus, les noms des jurés étaient réunis dans
une liste déposée ensuite à la chancellerie du préteur, ad perpetuam<
rei memoriam.
La Juridiction Criminelle au temps de l'Empire
Sousl'Empire, la juridiction criminelle fut enlevée
aux comices déjà du temps d'Octave, qui respecta cependant
l'institution des commissions permanentes avec leurs
préteurs et les jurés, et donna sur ce sujet dans la loi Julia judiciorum publicorum des prescriptions détaillées qui
étaient communes à toutes les quaestiones. Quant aux jurés,
il est certain que cette dernière loi, ainsi que la loi Julia privatorum,
traitait les judices selecti des commissions permanentes
et ceux des tribunaux civils comme formant des catégories séparées. Il n'est pas moins sûr que sous Octave, on
composa chaque année par la voie du sort, les listes générales
des jurés, d'où l'on tirait e personnel des tribunaux civils et
des différentes quaestiones.
C'est un point resté obscur que celui de savoir dans quelles
catégories de personnes se faisait ce tirage. Les trois décuries de la République ne conservèrent pas dans ce système leur
organisation primitive. Octave leur en imposa une nouvelle,
et finit par ajouter une quatrième décurie aux trois qui existaient
déjà. Il composa celle-ci en y faisant entrer les
citoyens dont le cens s'élevait à 400,000 sesterces, c'est-à-dire
les chevaliers et les sénateurs; la quatrième fut formée de
Ducenarii qui n'étaient imposés que pour 200,000 sesterces. Cette dernière décurie qui ne fut instituée que pour les
procès civils de moindre importance, resta tout à fait
étrangère aux quaestiones; il faut en dire sans doute autant
d'une cinquième décurie que Caligula ajouta aux quatre
autres. C'est là ce qui distingua spécialement les trois premières
parmi les cinq décuries de juges; en outre, les
selecti formaient parmi les juges des décuries, une catégorie
spéciale qui ne coïncide cependant pas complétement avec
la distinction précédente. Peu de temps après Octave, vraisemblablement
déjà sous Tibère, on comprit au nombre des
juges des décuries jusqu'aux citoyens romains des provinces,
à l'exception pourtant de ceux qui venaient seulement de
recevoir le droit de cité. C'est par l'allectio que se lit plus
tard la réception dans les cinq décuries. On ne peut indiquer
clairement comment sur la liste générale des jurés se faisait le tirage qui distinguait les judices destinés aux tribunaux
civils. de ceux qui devaient faire partie des quaestiones.
On ne sait pas davantage comment on distribuait ces derniers
dans les différentes commissions, ni si sur ce point on avait
maintenu les anciennes prescriptions légales.
La compétence des quaestiones fut cependant restreinte
de bonne heure;c'est ainsi qu'en premier lieu, Octave attribua
au Sénat une nouvelle et importante juridiction pénale
pour certains cas dont le jugement eût dû appartenir en partie
aux quaestiones . De plus, les constitutions impériales fidèles
à l'esprit des nouvelles institutions, accordèrent peu à peu au
préfet de la ville la connaissance d'un grand nombre de délits
extraordinaires et même ordinaires. Enfin, un rescrit
de Septime-Sévère au préfet urbain Fabius Cila attribua à ces
dignitaires (en 205), la répression de tous les délits commis
dans Rome, et dans un rayon de cent milles autour de la
capitale. Cela amena un changement complet dans la juridiction
criminelle, et les commissions perpétuelles, qui avaient existé jusque-là, disparurent alors complétement. Le
préfet ne jugeait point avec l'assistance de jurés dont la décision
se formait à la majorité des voix, mais après avoir simplement
pris l'avis de son conseil composé de personnages du
rang le plus élevé. Cette mesure rendit inutile le choix d'un
jury, et à partir du troisième siècle, la procédure fut extraordinaire
dans tous les cas. Le Praefectus vigilum avait à
réprimer certaines espèces de délits qui se rapportaient au
cercle de ses attributions; ces répressions pouvaient aller
jusqu'à la peine de mort quand il statuait contre des esclaves. On ne peut affirmer avec la même certitude que le tribunal
des centumvirs ait eu également à s'occuper d'affaires criminelles.Nous avons vu qu'en Italie la juridiction criminelle
appartenait au préfet de la ville, jusqu'aux limites d'un rayon
de cent milles autour de Rome; au delà, elle était dans les
mains du préfet du prétoire pour certains cas, et pour le reste, dans celles des correcteurs ou consulaires des régions.
Dans les provinces,elle appartenait, comme sous la République,
au gouverneur. La puissance de ce dignitaire réunissait
dans la contrée où il commandait, la plénitude des attributions
qui à Rome étaient divisées entre diverses autorités, et comprenait
même les cognitiones extraordinariae appartenant au
préfet de la ville. Il avait aussi la connaissance des infractions
légères, et des délits des esclaves. L'intendant de
l'empereur (procurator Caesaris) ne jouissait comme tel d'aucune
juridiction criminelle; seulement quand il remplissait
comme en Judée les fonctions de gouverneur, il était aussi
chargé de statuer sur quelques affaires pénales.
On ne peut déterminer quelle était la mesure de la puissance
répressive accordée en Italie et dans les provinces aux
magistrats des villes; ce qu'on sait d'une manière positive,
c'est qu'ils avaient un certain pouvoir de répression sur les
esclaves, et un devoir de surveillance à exercer relativement
à la garde et à l'interrogatoire préalable des malfaiteurs. Les peuples alliés (faederati), et les villes libres, avaient
naturellement la juridiction criminelle dans toute sa plénitilde,ce qui n'empêchait cependant pas leurs habitants
d'être aussi justiciables des magistrats romains. La Judée
était sous ce rapport dans une situation particulière; le grand
prêtre y pouvait avec le Sanhédrin emprisonner, juger et
condamner à mort, d'après la loi juive, les auteurs d'attentats
contre la religion; mais la confirmation et l'ordre d'exécution
de la sentence devaient être demandés au gouverneur romain.
La plénitude de la juridiction n'était du reste attachée
àaucun emploi comme en découlant d'elle-même, si ce n'est à l'imperium;mais on la considérait toujours comme un de
ses attributs extraordinaires. Elle était appelée merum imperium,
jus gladii, potestas dans le sens plus restreint
du mot, et elle ne venait s'attacher à une fonction que par
la prescription expresse d'une loi, d'un sénatus-consulte,ou
d'une constitution impériale. Voilà pourquoi on ne pouvait la
déléguer qu'en vertu d'une disposition spéciale, à la différence
de la juridiction proprement dite.
Mais l'empereur intervint aussi très activement dans
l'administration de la justice répressive. On déféra souvent à
son tribunal des crimes graves de toute nature. Ils furent
jugés tantôt par l'empereur en personne avec l'assistance de
son conseil, tantôt par le Sénat, ou bien renvoyés au
préfet du prétoire ou à un autre juge pour en connaître extraordinairement. Spécialement, un décurion ne pouvait
être frappé d'une peine capitale dans aucune partie de l'Empire
sans qu'on en eût d'abord référé au prince. Il fut
aussi permis d'en appeler à lui comme cela se faisait pour les
affaires civiles, même du fond des provinces ; souvent les
gouverneurs soumirent à son appréciation des cas douteux,
afin d'obtenir une décision directe.
A partir de Constantin, la juridiction criminelle fut
organisée de la manière suivante:
Dans les deux capitales, le Praefeclus urbi avait, comme
auparavant, la connaissance des crimes graves ; il déléguait
dans certains cas le préfet de l'annone avec lequel concourait
dans Rome le lieutenant (vicarius) du préfet de la ville.
Le préfet des gardes de nuit jugeait les délits de moindre
importance ; il fut remplacé plus tard à Constantinople par
le préteur du peuple. Hors de Rome, extra centesimum
milliarium, le préfet n'avait pas de juridiction criminelle
directe, elle appartenait aux consulares; seulement dans
les provinces voisines de la capitale, leur puissance pénale
était encore limitée par celle du préfet de la ville. La juridiction propre du Sénat n'existait plus; au lieu d'être jugés
par lui, les délits d'une certaine gravité, spécialement ceux
qui offensaient la personne sacrée de l'empereur, étaient
souvent évoqués à la cour, et dévolus à la juridiction du
préfet du prétoire ou à d'autres personnages de confiance ;
l'instruction en était parfois déléguée au Sénat.
Dans les provinces, la suprême juridiction pénale était entre
les mains des gouverneurs; il en était de même dans toute
l'Italie, sauf les modifications apportées dans l'administration
exceptionnelle des provinces italiennes dépendant de
Rome (Suburbicariae provinciae). Mais les gouverneurs ne
devaient point s'occuper des délits ou infractions de peu d'importance; la connaissance en appartenait donc aux magistrats
municipaux. La puissance répressive d'un ordre
secondaire fut donnée, au cinquième ou sixième siècle, aux
défenseurs des cités; dès lors c'était à eux seulement et
non aux magistrats à se préoccuper de l'interrogatoire provisoire
des individus accusés de crimes graves, et de leur renvoi
immédiat devant le gouverneur.
Il y avait d'ailleurs plusieurs juridictions criminelles
spéciales instituées pour juger, les unes, certaines espèces de
crimes, les autres, certaines classes de personnes. A la première
de ces catégories appartenaient les méfaits relatifs aux
vivres et approvisionnements. Le Praefectus annonae avait sur
ces délits, et dès lors sur les corporations qui dépendaient de ce service, une juridiction pénale qui allait jusqu'au droit de
vie et de mort. Il faut ranger dans la seconde catégorie les
tribunaux suivants: le Sénat; car dans les premiers temps de
l'Empire, les sénateurs furent jugés par le Sénat lui-même;
le tribunal du préfet de la ville, auquel la nouvelle organisation
de Septime-Sévèrer envoya les délits commis par les sénateurs
.dans Rome, ou dans un rayon de cent milles autour de la capitale.
Sous Constantin, le système adopté fut celui-ci: les
sénateurs domiciliés à Rome dépendaient du préfet de la ville,
qui toutefois était tenu d'en référer à l'empereur en cas d'accusation
grave. Les sénateurs qui habitaient les provinces,
même celles d'Italie, étaient placés par une ordonnance de
Constantin (317) sous la juridiction des gouverneurs . On
décida cependant bientôt après, que ces sortes de procès,
toujours instruits par les tribunaux ordinaires, seraient renvoyés,
quant à la détermination de la peine, au préfet de la
ville pour les provinces dites suburbicaires, et au préfet du
prétoire pour les autres. Le préfet de la ville fut, malgré
cela, toujours tenu (quand il s'agissait du jugement d'un
membre du Sénat) de s'adjoindre un conseil de cinq sénateurs
désignés par la voie du sort. Justinien qui n'admit dans
son recueil que la seule constitution de Constantin, supprima
cette disposition.
Les fonctionnaires de l'Empire qui appartenaient à la classe la plus élevée, celle des illustres, avaient pour juge
criminel l'empereur en personne, et cela même après la résiliation
de leurs fonctions. Les délits commis par les gouverneurs
des provinces appartenaient au jugement du préfet
du prétoire. Les officiers du palais étaient jugés par le magister officiorum les officiales par leur chef, les
colons et les esclaves appartenant aux domaines impériaux,
par le comes domorum.
Quant aux soldats, Octave avait confié la répression
de leurs délits, en Italie, au préfet du prétoire, sauf certaines
exceptions relatives aux centurions et autres officiers supérieurs. Dans les provinces de l'empereur, ils étaient soumis
pour les délits légers, au pouvoir du lieutenant (legatus) commandant
la légion, et dépendaient du président de la province
pour les affaires capitales. Au contraire, les proconsuls,
dans les provinces du peuple, n'avaient de juridiction
pénale complète, c'est-à-dire allant jusqu'à la peine de mort,
que lorsqu'elle leur avait été spécialement déléguée par l'empereur. Le souverain s'était réservé le jugement des officiers. Constantin transporta aux magistri militum le pouvoir
judiciaire des préfets, et dès lors, tous les délits commis par les soldats (et non pas seulement les délits militaires)
furent jugés par un tribunal militaire.
Il faut enfin mentionner ici ce qui concerne la juridiction
des prêtres chrétiens. Les infractions commises par
les gens d'église relativement à leurs fonctions sacerdotales ou
leurs devoirs canoniques ne pouvaient naturellement point
être du ressort des tribunaux laïques, mais avaient été de
tous temps abandonnées à la sévérité des autorités ecclésiastiques. Leur juridiction, considérée comme un privilége
de la dignité dont ils étaient revêtus, fut aussi étendue aux
délits ordinaires des évêqùes et gens d'église. Valentinien
III en rendit de nouveau la connaissance aux tribunaux
laïques, et il en fut ainsi jusque dans le dernier état du
droit.
De la Procédure pénale.
Une procédure criminelle ne pouvait généralement
avoir lieu sans une accusation formelle. Les fonctions d'accusateur
appartenaient dans les temps reculés aux deux quaestores
parriâdii lesquels avaient aussi mission de convoquer les comices-centuries quand il s'agissait d'une instance criminelle.
Plus tard, la charge d'accusateur fut imposée, en
partie aux édiles qui le cas échéant réunissaient eux-mêmes
les comices, et en partie aux tribuns qui étaient obligés de
s'adresser au préteur pour la convocation des comices-centuries. Enfin le premier venu put se constituer accusateur. Il faut, en ce qui concerne la procédure, distinguer,
au temps de la République, celle qui était en usage devant
les assemblées populaires, de celle qui se pratiquait devant
une commission (quaestio). L'acte par lequel commençait la première, était la sommation publique, faite par celui auquel
incombait l'accusation, à celui contre lequel elle était dirigée,
d'avoir à comparaître devant le peuple un jour déterminé, au
sujet du crime désigné dans l'accusation. Si la plainte était
formée devant les comices-centuries, le jour était indiqué
par le questeur parricidii, qui remplissait les fonctions d'accusateur,
et annoncé par ses ordres à son de trompe du haut
du Capitole, le long des murs de la ville, et à la porte de l'accusé. Quand les tribuns voulaient remplir le rôle d'accusateurs
devant les comices-centuries, le jour des débats était
désigné par le préteur ; il'l'était par les tribuns quand le
procès était engagé devant les comices-tribus. L'accusé était
dûment cité pour se défendre, et tenu de garantir sa comparution
en donnant caution, ou en se constituant prisonnier.
Au jour désigné, l'accusation était portée devant le peuple réuni dans la forme des conciones; on lui demandait
une condamnation à une peine désignée; il entendait la défense
de l'accusé, appréciait les dépositions des témoins
et les preuves offertes ; le tout était répété une seconde et
une troisième fois après certains intervalles de temps.
Après le troisième débat, qui alors ne durait pas longtemps,
on procédait à la délibération, et le jugement était prononcé
à la pluralité des voix.
Plus tard la procédure fut différente: le magistrat publiait
son accusation par trois fois en trois jours différents; il la
portait ensuite une quatrième fois après trois jours de marché,
et faisait sa motion pour l'application d'une peine. Après
la clôture des débats, on procédait au vote qui avait lieu
par centuries ou tribus, d'abord verbalement, et plus
tard à l'aide de petites tablettes. Quand l'accusé ne paraissait
pas pour se justifier à l'appel de l'appariteur de justice,
ou lorsqu'il faisait annoncer qu'il s'était exilé, on n'en poursuivait
pas moins les débats contre lui malgré son absence.
Devant une quaestio, le premier acte de la procédure
était la déclaration faite au président de la commission, de
l'accusation qu'on voulait intenter, et la demande en autorisation
nécessaire pour y donner suite. Si plusieurs accusateurs se présentaient en même temps, il fallait avant tout avoir recours à
une divinatio pour donner la préférence à l'un d'eux, car il
ne pouvait jamais y avoir qu'un seul accusateur pour le même
crime; les autres avaient cependant la faculté de se joindre
au premier à titre de suscriptores. Cette postulatio était
suivie, après un certain délai, de la nominis delatio, à
laquelle naturellement l'accusé était convoqué. On y formulait
avec précision les termes de l'accusation qui était
ensuite mise par écrit, et signée par l'accusateur; c'est ce
qu'on appelait legibus interrogare. A partir de la loi Julia, l'accusateur fut tenu de produire un libelle d'accusation ou
d'inscription signé de lui, rédigé d'après des formes prescrites,
et joint ensuite aux pièces du procès. L'affaire
était alors inscrite au registre du tribunal avec les noms de
l'accusateur et de l'accusé, ce qui s'appelait nomen rei
recipere, et l'on fixait l'époque à laquelle l'accusation serait portée devant le tribunal rassemblé. C'était d'ordinaire le
dixième jour; cependant sur la demande de l'accusateur
il lui était accordé un délai plus étendu pour faire l'instruction
du crime et réunir les preuves.
Au jour indiqué, le héraut (praeco) appelait chaque
partie à comparaître devant le tribunal. L'accusateur ne se
présentait-il point, on effaçait du rôle le nom de l'accusé;
si c'était l'accusé qui faisait défaut, il était condamné après de
courts débats, et l'on confisquait ses biens. Cette procédure
fut cependant adoucie sous l'Empire; l'accusé défaillant était
mis au nombre des requirendi, et sommé par édit d'avoir à se
présenter; lorsqu'après un an il n'avait point répondu à cette
réquisition, ses biens étaient confisqués, mais aucun jugement
de condamnation n'était prononcé contre lui. Quand les
deux parties se présentaient devant la justice, et que le choix
des jurés composant la commission avait été fait, on procédait
sans interruption à l'exposé de l'accusation après lequel
se produisait immédiatement la défense de l'accusé. Ces discours
étaient suivis de l'altercatio, c'est-à-dire d'un dialogue
rapide entre l'accusateur et l'avocat, par lequel les deux
parties pouvaient au dernier moment résumer d'une manière
vigoureuse les arguments les plus importants présentés de part et d'autre. Cette altercatio terminait les débats selon
un usage de l'ancien droit qui existait encore au temps de la
loi Acilia repelundarum; cependant la loi Servilia reputendarum y lit une exception pour ce genre d'accusation, en
donnant après la défense la comperendinatio, c'est-à-dire un
délai d'un jour que l'accusateur pouvait consacrer à une
deuxième action à laquelle l'accusé était également libre de
répondre. L'accusation et la défense étaient encore accompagnées
d'autres discours tenus par des avocats (patroni)
que l'accusé avait appelés à sa défense; il était aussi d'usage
que l'accusé employât pour sa justification un certain nombre
de laudatores ou de laudationes, c'est-à-dire de témoignages
écrits rendus en sa faveur, mais l'abus qu'on fit des patrons
obligea d'en restreindre le nombre, d'abord par les lois
de Pompée, ensuite par la loi Julia enfin l'emploi des
laudatores fut complétement défendu par Pompée. Les
plaidoiries duraient souvent plusieurs jours, aussi Pompée
fut-il encore obligé d'y imposer une mesure. Cette limite
se maintint jusque dans les derniers temps, seulement il paraît que dans chaque cause le temps de l'orateur était
mesuré à l'aide d'une clepsydre.
A l'origine, les témoins étaient d'ordinaire admis et
interrogés après les plaidoyers de l'accusation et de la
défense, et avant la seconde actio dans le cas de comperendinatio. Cependant l'accusateur était libre d'en faire usage
immédiatement, soit qu'il.présentât ses moyens dans un discours
suivi à la fin duquel il amenait ses témoins, soit qu'il
les fît entendre après chaque point de son plaidoyer. Au
contraire, d'après les deux lois de Pompée, les témoins
devaient être entendus en premier lieu, et leurs dires déposés
par écrit devant tous les jurés composant la commission;
après quoi, le sort désignait quatre-vingt-un jurés
devant lesquels commençaient les plaidoiries.
Plus tard, il en fut encore autrement, probablement depuis
la loi Julia; les témoins ne furent interrogés qu'après l'actio,
comme cela avait lieu autrefois, et les orateurs ne purent
invoquer leurs dépositions que d'une manière très générale. Les témoins étaient convoqués par les parties qui
voulaient s'en servir, soit sous la forme d'une invitation à
laquelle ils répondaient volontairement, soit par une citation
que le juge autorisait à donner, et qui était accompagnée
d'une sanction pénale en cas de non-comparution. Ce dernier
avantage n'était cependant accordé qu'à l'accusateur.
Les lois apportèrent aussi des limites au nombre de témoins qu'il était permis de convoquer, et s'occupèrent
de la qualité des personnes, dont les unes ne devaient nullement
être appelées en témoignage, et les autres ne pouvaient
être contraintes à y venir. Quand leur tour était venu, les
témoins étaient appelés devant les juges par le héraut
(praeco); on leur faisait prêter serment; l'accusateur
leur posait ensuite publiquement des questions, auxquelles
l'accusé pouvait opposer aussi des interrogations dans un
sens différent, genre de lutte dans lequel se déployaient
surtout l'habileté et la souplesse d'esprit des avocats; ce
n'est que plus tard que l'interrogatoire par le juge prit naissance,
et seulement quand l'ancienne procédure fut tombée.
Les déclarations des témoins étaient couchées par écrit et
conservées pour l'instruction du procès. A défaut des
témoins eux-mêmes, les parties pouvaient présenter des
déclarations écrites auxquelles cependant on n'accordait
qu'une médiocre importance. Les actes des autorités publiques
dont on invoquait le témoignage au procès étaient déposés
pendant trois jours entre les mains de la justice, pour
éviter toute falsification; les déclarations des particuliers étaient produites dans le cours des débats. Enfin, on employait
la torture contre les esclaves pour obtenir l'aveu du
crime qu'on leur imputait, ou de la connaissance qu'ils en
avaient ; seulement, l'accusateur qui proposait d'y soumettre
un esclave, était tenu, pour le cas où son innocence
serait reconnue, de dédommager le maître du préjudice qu'il
pourrait en éprouver, et de constituer une caution à cet
égard. On ne pouvait point mettre les esclaves à la torture
pour déposer contre leur propre maître, si ce n'est sous
l'ancien droit, dans le cas d'une instruction relative à la violation
des mystères (inceste religieux); plus tard on put le faire
pour crime d'adultère, de fraude en matière d'impôts,
de crime dé lèse-majesté, mais non d'inceste, dans le sens
ordinaire du mot. Sous l'Empire, on put appliquer à la
question, selon les circonstances, les hommes libres eux-mêmes,
non-seulement comme accusés, mais comme témoins; les personnes d'un certain rang telles que les sénateurs, les décurions et aussi les soldats, étaient seules
exceptées, si ce n'est en cas de crime de lèse-majesté, ou
aussi de magie dans certaines circonstances. La torture ne
devait cependant être ordonnée que quand il existait déjà des
indices et des preuves du crime, et on ne devait l'employer
qu'avec mesure et circonspection; elle était donnée hors
de la présence du tribunal, par les valets du bourreau, sous
les yeux d'un officier de justice qui fut plus tard le commentariensis.
On enregistrait les déclarations du patient, afin de
les produire devant les juges. L'aveu de l'accusé n'était
point nécessaire, en présence de preuves suffisantes, pour
déterminer la condamnation.
La clôture des débats était annoncée à haute voix par
le héraut (praeco), et les jurés étaient immédiatement invités
à procéder à leur vote qui amenait soit la condamnation ou l'absolution, soit l'ampliatio, quand l'affaire ne paraissait point
assez claire; dans ce dernier cas, on procédait à de nouveaux
débats. Mais la loi Servilia repetundarum qui avait introduit
la comperendinatio dans ce genre de procès, ne permit
plus de voter pour l'ampliatio. Le vote était secret.; d'après
une loi Cornelia, on accordait à l'accusé le droit de décider
lui-même s'il aurait lieu à haute voix ou secrètement, et dans
le premier cas il se faisait dans l'ordre désigné par le sort;
mais cet usage ne subsista pas longtemps. Chaque juré recevait,
dans le cas où le vote était secret, une petite tablette de
bois recouverte de cire, sur laquelle il inscrivait une des
trois lettres décisives, puis il s'avançait, le bras découvert,
cachant son vote avec la main, et jetait sa tablette dans
l'urne destinée à la recevoir (1).
(1) La loi Servilia nous apprend qu'on se servait dans les procès d'une urne de terre (sitella, urna), pour y déposer les votes, et non d'une corbeille (cista) comme aux comices; on en trouve aussi la preuve dans les médailles de la gens Cassia. Le Pseudo-Asconius parle, il est vrai, de la cista mais cette circonstance ne peut infirmer l'autorité des autres témoignages.
Depuis la loi Aurélia, ou peut-être la loi Fufia, (695) chacune des trois décuries qui
prenaient part au jugement vota dans une urne spéciale,
mais les votes étaient réunis quand il s'agissait de les
compter.
Il n'était point permis de continuer la discussion pendant
le vote. Après l'accomplissement de cette formalité, le
préteur tirait une à une les tablettes de l'urne, il les lisait et
les remettait au juge le plus voisin de lui. La loi Servilia qui
ne permettait point l'ampliatio, faisait compter pour la condamnation
une tablette qui ne portait point de vote; l'égalité
des voix emportait l'absolution. Quand la condamnation
était accompagnée de l'adjudication d'une indemnité pécuniaire,
les mêmes juges restaient réunis pour prononcer en
qualité de recuperatores sur la litis aestimatio.
Les formes étaient généralement suivies pour les causes portées dans les
provinces devant le préteur et le conseil qu'il choisissait au
sein du conventus, réunion solennelle pour les assises; la
sentence n'était point rendue par le tribunal tout entier,
mais seulement par le préteur qui, sans doute, s'en rapportait
habituellement à l'opinion de la majorité. Il
en était de même sous l'Empire devant le préfet de la ville et les gouverneurs qui n'avaient d'autre conseil que leurs
assesseurs.
Devant le Sénat, on observait de même les formes ordinaires
pour l'accusation et la défense qui étaient suivies d'une
question relative à l'absolution ou à la condamnation, et d'un
vote définitif.
Après la disparition des anciennes quaestiones, la procédure
fut toujours extraordinaire. Toutefois, on conserva l'ancien
principe en vertu duquel il fallait pour accuser s'inscrire
par un libelle. Une exception fut admise en matière de
faux; un rescrit d'Antonin permettait au juge de recevoir en
ce cas une plainte verbale. Constantin, après avoir approuvé
cet usage l'abolit presque immédiatement ; il fut
rétabli par Gratien 109) et supprimé de nouveau sous Justinien. On permit cependant dans certains cas de formuler
une accusation par une simple déclaration verbale faite au
greffe, sans remplir la formalité de l'inscription. Ce privilége
appartenait notamment aux femmes dans les cas exceptionnels
où elles étaient admises à former une accusation, et au mari qui dénonçait l'adultère de sa femme. Après la
plainte, le juge lançait le mandat d'amener que le commentariensis faisait exécuter par ses subordonnés. Cet
officier amenait aussi l'accusé devant le tribunal
et dirigeait
la procédure à l'aide de ses employés.
Les débats étaient publics, et l'enceinte du tribunal était ouverte
en général à tout le monde; cependant le juge se retirait
derrière un rideau pour la rédaction de la sentence ;
elle était mise par écrit, lue ex tabella sur minute, et ensuite
expédiée par l'instrumentarius.
Relativement à la personne de l'accusateur, bien des
prescriptions légales devinrent nécessaires lorsque la poursuite
des délits fut remise entre les mains des citoyens eux-mêmes.
Un grand nombre de personnes furent écartées du
droit d'accusation à cause de leur âge, de leur sexe, de leur
position sociale, de la privation de l'honneur civique qu'elles
avaient encourue, ou de leur manque de fortune. Les
esclaves et les affranchis, qui au reste avaient sous l'Empire
le droit d'intenter une poursuite publique, ne pouvaient, par
un sentiment de respect, mettre en accusation leur maître ou patron quand il s'agissait d'une peine capitale, le crime
de lèse-majesté excepté; de plus il était défendu d'intenter
en même temps deux actions pénales, et quand on était
accusé soi-même, on n'était autorisé à poursuivre contre un
autre qu'une accusation plus grave.
Des récompenses étaient attachées au succès d'une accusation
que l'on considérait comme un service rendu à la
société; cela se faisait déjà sous la République pour l'ambitus,
et plus tard pour d'autres crimes encore. On cherchait
cependant d'autre part à sévir autant que possible contre
les auteurs de poursuites intentées par pur désir de nuire.
C'est à cela que tendait avant tout le serment calumniae causa qu'était obligé de prêter l'accusateur. De plus, la loi Remmia, dont la date est incertaine, formula diverses pénalités
contre ceux qui avaient été parties dans une accusation
criminelle calomnieuse; l'une d'elles consistait à imprimer
avec un fer rouge la lettre K sur le front du coupable. Trajan voulut que l'on remplaçât cette peine par
celle que l'accusé aurait subie dans le cas où il eût été condamné. Celle-ci fut considérée alors comme une obligation découlant de la subscriptio de l'accusation L'auteur d'une
poursuite calomnieuse intentée pour crime de lèse-majesté,
nom de ceux qui pouvaient être les instigateurs du crime.
Celui qui avait calomnieusement accusé quelqu'un d'un crime
extraordinaire, était puni d'une peine extraordinaire.
Cependant toute accusation non prouvée n'était pas considérée comme calomnieuse; c'était aux juges à prononcer
spécialement sur cette question. Il y avait aussi certaines
plaintes que l'on pouvait intenter sans rien craindre à ce
sujet.
Une autre disposition légale, unie par un rapport
étroit avec ces dernières, était celle en vertu de laquelle on
était tenu de poursuivre jusqu'au bout l'instance que l'on
avait commencée. L'accusateur était obligé de donner caution
à cet égard; il était même (quand sa position ne l'en dispensait
pas) conduit en lieu de sûreté avec l'accusé, et s'il tergiversait, c'est-à-dire s'il se désistait volontairement de
la plainte, il subissait les peines du sénatus-consulte Turpillien porté sous Néron (814). On ne pouvait donc généralement
abandonner une accusation que lorsqu'on en avait
poursuivi l'abolition devant la justice, et encore n'était-elle
habituellement accordée que du consentement de l'accusé,
et sans pouvoir l'être toujours, cette condition même remplie. Cette obligation faite à l'accusateur cessait par sa
mort ou un empêchement légitime, et alors l'accusé pouvait
de son côté demander l'abolitio pour ne pas vivre toujours
sous le poids de l'accusation.
Quelquefois aussi une abolition générale était publiquement
accordée pour célébrer quelqu'événement heureux pour
l'Etat, et cela était sans doute institué dans l'intérêt de
l'accusateur avant tout; néanmoins il lui était permis de
reprendre son accusation pendant trente jours (et pas plus)
sans compter celui de la fête.
Enfin, le législateur dut se préoccuper aussi de réprimer la
prévarication. Le sénatus-consulte Turpillien la punissait comme l'accusation calomnieuse, et cette assimilation
subsista longtemps sur la. plupart des points.
Passons à l'accusé. Il n'était point permis, en considération
de leur service public, de mettre en accusation les
magistrats en fonction; la poursuite criminelle devait être renvoyée
jusqu'à l'expiration de leur magistrature, à moins
qu'ils ne consentissent volontairement à y répondre,
qu'ils n'abdiquassent leur charg, ou ne fussent contraints
de donner leur démission par suite de circonstances trèspressantes.
Un sénatus-consulte de l'an 773 ordonnait de poursuivre
les esclaves selon les formes ordinaires par la voie de
l'inscription. La comparution en personne était de règle,
soit pour la défense, soit pour l'accusation.
Le prévenu ne fut d'abord retênu prisonnier qu'en cas de
délit flagrant et manifeste
ou lorsqu'il y avait aveu ;
ordinairement une caution suffisait
ou l'on se contentait d'infliger les arrêts, sans chaînes ni entraves, dans la maison
d'un magistrat. Mais plus tard, une détention proprement
dite dut accompagner le mandat d'arrêt, seulement l'agent
qui était chargé de la faire exécuter devait accorder à l'accusé,
quand il le demandait pour l'arrangement de ses affaires,
au moins trente jours, pendant lesquels sa captivité était
adoucie. En cas de crime grave et manifeste, les autorités
du lieu pouvaient aussi, sans mandat d'arrestation, retenir le
malfaiteur qu'on leur avait amené, mais elles devaient le
renvoyer au gouverneur dans un bref délai, avec ses accusateurs
et leur rapport.
La détention de l'accusé avait lieu selon la détermination
du gouverneur, et pouvait s'exécuter de trois manières. L'accusé
était, ou confié à des personnes qui en répondaient
comme caution; ou soumis à la garde militaire; ou emprisonné. La garde militaire pouvait être modérée,
mais
elle pouvait aussi être très rigoureuse. Quelquefois on y
employait, au lieu de militaires, les esclaves publics de la
ville. L'accusé n'était point enchaîné dans la prison, si
ce n'est en cas de crimes graves, et même alors on devait le
traiter avec les égards commandés par l'humanité. On usait naturellement de moins de ménagements avec les condamnés
ou les accusés dont le crime était avoué.
La surveillance des prisons appartenait à Rome aux
trimnviri capitales, et aux esclaves qui étaient sous leurs ordres. Dans les provinces, elle rentrait dans les attributions
du préteur, qui était tenu de faire faire des rapports
détaillés sur les emprisonnements. Plus tard, les prisons
furent confiées au commentariensis, sous la subordination
duquel se trouvaient placés des archers et des geôliers.
Son devoir était de faire un rapport mensuel sur les détenus,
et de pourvoir à l'exécution de la règle, relativement douce,
des prisons, sur lesquelles les évêques furent appelés à
exercer une mission de surveillance.
L'exécution suivait de très près le jugement, quand il
n'y avait point de pourvoi exercé ou possible. Ce n'est que
pour les condamnations capitales prononcées par le Sénat
qu'on dut accorder un délai de dix jours avant l'exécution;
il était de trente jours pour les sentences par lesquelles l'empereur
lui-même avait prononcé des peines graves.
C'étaient autrefois les quaestores parricidii qui présidaient
aux exécutions; plus tard, ce furent les triumvirs avec les
valets de bourreau; dans des circonstances célèbres, ce fut un questeur, un tribun, le préteur, ou même un consul
avec les formes usitées dans l'ancien droit; enfin le préfet
des vigiles ou le praetor populi. Hors de Rome, le président
de la province y déléguait un centurion; quelque temps
après, cela fit partie des fonctions du commentariensis.
L'exécution était faite par un licteur quand il s'agissait de la
décapitation; lorsque l'accusé devait subir une mort infamante,
la sentence était exécutée par le bourreau qui, d'après
les censorioe leges, ne pouvait point habiter la ville. Plus
tard, on employa pour ce service un individu attaché à l'armée,
le speculator. Les exécutions avaient lieu hors des
portes, en un lieu destiné à cet usage, et qui était la propriété
de la ville. Le corps du supplicié était abandonné
aux bêtes, ou ignominieusement traîné à la rivière; plus
tard cependant on le livra habituellement aux parents qui le
réclamaient pour l'ensevelir. Les menus objets mobiliers
que le condamné avait sur lui étaient déposés dans une caisse
particulière chez le président de la province.
Lorsque le juge avait prononcé une peine pécuniaire, le
condamné était tenu de donner caution au trésor public, ou
de se constituer prisonnier; et quand le payement n'avait pas lieu, les questeurs étaient envoyés en possession des
biens. Dans ce cas, et dans d'autres encore où les biens
d'un condamné étaient vendus par l'Etat, on appliquait les
règles de la bonorum sectio. Les voies de recours appartenant à l'accusé étaient:
le droit de provocation au peuple, avec toute l'étendue qu'il
comportait, et l'appel aux tribuns Ces derniers pouvaient
être invoqués dès le principe contre l'accusation ou la
demande d'une peine. Ils rendaient alors un décret en
forme, après une délibération prise dans leur collége, à la
majorité des voix. Quant aux quaestiones qui étaient instituées
par le peuple, et aux commissions qui le représentaient,
leurs sentences ne pouvaient donner lieu à la provocation.
C'est avec l'Empire que commencèrent les appels au
prince. Le recours aux autorités supérieures finit par
devenir d'un usage ordinaire, et fut soumis aux mêmes
formes et conditions que celui qu'on exerçait dans les affaires
civiles. Le premier venu pouvait interjeter appel pour le
condamné. Il y avait cependant certains crimes graves dont la punition ne pouvait être différée par l'appel quand il
il y avait eu aveu complet ou preuve évidente.
On trouve un exemple de l'abolition de la peine sous la
République, où l'on voit le peuple accorder la grâce et le
rappel d'un exilé; peut-être aussi le tribunal qui avait
prononcé la condamnation, était-il autorisé à cet égard.
Sous l'Empire, ces faveurs furent de deux espèces; mentionnons
d'abord la grâce (indulgentia) accordée par l'empereur
pour un cas déterminé ou pour toute une série de délits
de la même espèce; tantôt remettant la peine déjà prononcée,
tantôt mettant en oubli la procédure commencée dans une
affaire encore pendante ; il y avait ensuite la restitution qui
effaçait le crime et la peine, et remettait absolument le condamné
dans l'état dans lequel il se trouvait avant le fait incriminé. Une touchante manifestation du droit de grâce avait
lieu sous l'empire de l'ancienne religion, lorsque dans des moments
de détresse on implorait le secours des dieux par des
sacrifices et des supplications; les captifs étaient alors débarrassés
de leurs chaînes pour ne plus les reprendre. C'est
le même esprit qui, sous les empereurs chrétiens, à Pâques,
en ce grand jour d'allégresse de la chrétienté, faisait rendre la liberté à ceux qui avaient été mis en prison pour des délits
de peu d'importance .
La procédure criminelle que nous avons décrite jusqu'à
présent n'excluait cependant pas d'autres moyens activement
employés par la puissance publique pour la recherche
et la punition des crimes. On en trouve déjà des exemples à
l'origine de Rome, dans des cas extraordinaires, à propos
desquels, sur l'ordre du peuple soit du Sénat on employait
la procédure d'enquête contre tous ceux qui avaient pris une
part quelconque à un crime dénoncé aux autorités. Ici la procédure
prenait un caractère tout à fait inquisitorial. Des récompenses
étaient promises aux dénonciateurs, des arrestations
étaient ordonnées et des citations envoyées sur des
indices offrant quelque probabilité; on faisait subir des
interrogatoires et on prononçait des condamnations. Un
pouvoir semblable était exercé dans les provinces par le gouverneur
contre les gens dangereux et ennemis du repos public. En Orient, les Irénarques étaient obligés de seconder
les efforts des autorités. C'est dans cet esprit que furent
particulièrement dirigées tant d'enquêtes contre les chrétiens. Il faut aussi rattacher à ce genre de procédure les
règles sur les indices et les quadruplatores. On entendait surtout
par les premiers les complices qui avaient dévoilé à la justice
le plan d'un crime, et auxquels dans certains cas on accordait l'impunité. Le nom de quadruplaltres se rapportait, autant
qu'on peut le supposer, à des récompenses qui, dans des cas
désignés, étaient prises sur les biens du condamné pour les
distribuer aux délateurs qui l'avaient livré. Dans les derniers
temps de l'Empire, il fut de principe qu'en général les
crimes pouvaient aussi être dénoncés par les employés composant
les bureaux des magistrats, et par les agents de
police répandus dans les diverses parties de l'Empire. La
formalité de l'inscription n'était plus nécessaire ici mais
les dénonciateurs étaient tenus de défendre et d'expliquer leur
rapport.
Il reste encore à mentionner, en matière de procédure
criminelle, celle qui était en usage pour des infractions plus
légères. Les châtiments et les amendes qu'un magistrat croyait
devoir infliger pour le maintien de son autorité étaient prononcés
sans aucune procédure, et les amendes immédiatement
assurées par la saisie d'un gage. L'argent était,
sans nul doute, versé dans le trésor des sacrifices. Les
amendes formellement prononcées par les lois pour punir
un fait incriminé, donnaient lieu à une action devant le préteur et à la nomination de récupérateurs. La perception
s'en faisait aussi par la saisie de gages ou, quand il
le fallait, par une prise de possession du patrimoine au
profit du trésor public ou de la caisse des sacrifices. Dans
les provinces, le président fut investi d'un pouvoir général à
l'effet de poursuivre et de punir sommairement les infractions
légères. Les accusations portant sur des délits peu graves
et soumis à la compétence des magistrats ou des défenseurs
des cités, pouvaient à plus forte raison s'intenter sans la
formalité de l'inscription.
FIN DE L'OUVRAGE